Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vrai pour les seuls ministres ; et quand la responsabilité de ceux-ci se trouve en jeu, ils produisent le premier, qui, bien que faux, répond à tout et les met à couvert. Et c’est ainsi, disait l’Empereur, que les meilleures institutions deviennent vicieuses quand la morale cesse d’en être la base, et quand les agents ne sont plus conduits que par l’égoïsme, l’orgueil et l’insolence. Le pouvoir absolu n’a pas besoin de mentir ; il se tait. Le gouvernement responsable, obligé de parler, déguise et ment effrontément.

« C’est, du reste, une chose bien remarquable que, dans ma grande lutte avec l’Angleterre, son gouvernement ait eu l’art de jeter constamment tant d’odieux sur ma personne et mes actes ; qu’il se soit si impudemment récrié sur mon despotisme, mon égoïsme, mon ambition, ma perfidie, précisément quand lui seul était coupable de tout ce dont il osait m’accuser. Il fallait donc qu’il existât un bien fort préjugé contre moi, et que je fusse réellement bien à craindre, puisqu’on pouvait s’y laisser prendre. Je le conçois de la part des rois et des cabinets, il y allait de leur existence ; mais de la part des peuples !!!…

« Les ministres anglais ne cessaient de parler de mes déceptions ; mais pouvait-il être rien de comparable à leur machiavélisme, à leur égoïsme, durant tout le temps de bouleversement et les convulsions qu’ils alimentaient eux-mêmes ?

« Ils sacrifièrent la malheureuse Autriche en 1805, uniquement pour échapper à l’invasion dont je les menaçais.

« Ils la sacrifièrent encore en 1809, seulement pour se mettre plus à l’aise sur la péninsule espagnole.

« Ils sacrifièrent la Prusse en 1806, dans l’espoir de recouvrer le Hanovre.

« Ils ne secoururent pas la Russie en 1807, parce qu’ils préféraient aller saisir des colonies lointaines, et qu’ils essayaient de s’emparer de l’Égypte.

« Ils donnèrent le spectacle de l’infâme bombardement de Copenhague en pleine paix, et du larcin de la flotte danoise par un vrai guet-apens. Déjà ils avaient donné un pareil spectacle par la saisie, aussi en pleine paix, de quatre frégates espagnoles chargées de riches trésors ; ce qu’ils avaient opéré en véritable vol de grands chemins.

« Enfin, durant toute la guerre de la péninsule, dont ils cherchent à prolonger la confusion et l’anarchie, on ne les voit s’empresser qu’à trafiquer des besoins et du sang espagnol, en faisant acheter leurs ser-