Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/707

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toire de la Constituante par Rabeau de Saint-Étienne. Il portait contre celui-ci à peu près les mêmes plaintes que contre Lacretelle ; il est passé de là à certains caractères : « Bailli, disait-il, avait été bien loin d’être méchant, mais c’était un niais politique. La Fayette en avait été un autre. Sa bonhomie politique devait le rendre constamment dupe des hommes et des choses. Son insurrection des Chambres, au retour de Waterloo, avait tout perdu. Qui avait donc pu lui persuader que je n’arrivais que, pour les dissoudre, moi qui n’avais de salut que par elles ? »

Quelqu’un ayant dit comme excuse ou atténuation : « Sire, c’est pourtant le même homme qui, traitant plus tard avec les alliés, s’est indigné qu’on lui proposât de livrer Votre Majesté, leur demandant avec chaleur si c’était bien au prisonnier d’Olmutz qu’on osait s’adresser. – Mais, Monsieur, a repris l’Empereur, vous quittez là un sujet pour en prendre un autre, ou plutôt vous concordez avec ma pensée, loin de la combattre. Je n’ai point attaqué les sentiments ni les intentions de M. de La Fayette, je ne me suis plaint que de ses funestes résultats. »

Puis l’Empereur a continué de la sorte à passer en revue les premiers acteurs du temps ; il s’est fort arrêté sur l’affaire Favras, etc.

« Du reste, concluait l’Empereur, rien n’était plus commun que de rencontrer des hommes de cette époque fort au rebours de la réputation que sembleraient justifier leurs paroles et leurs actes d’alors. On pourrait croire Monge, par exemple, un homme terrible. Quand la guerre fut décidée, il monta à la tribune des Jacobins, et déclara qu’il donnait d’avance ses deux filles aux deux premiers soldats qui seraient blessés par l’ennemi ; ce qu’il pouvait faire à toute rigueur pour son compte, disait l’Empereur ; mais il prétendait qu’on y obligeât tout le monde, et voulait qu’on tuât tous les nobles, etc. Or Monge était le plus doux, le plus faible des hommes, et n’aurait pas laissé tuer un poulet s’il eût fallu en faire l’exécution lui-même, ou seulement devant lui. Ce forcené républicain, à ce qu’il croyait, avait pourtant une espèce de culte pour moi, c’était de l’adoration : il m’aimait comme on aime sa maîtresse, etc.

« Autre exemple, disait l’Empereur. Grégoire, si acharné contre le clergé, qu’il voulait ramener à sa simplicité première, eût pu être pris pour un héros d’irréligion ; et Grégoire, quand les révolutionnaires reniaient Dieu et abolissaient la prêtrise, faillit se faire massacrer en montant à la tribune pour y proclamer hautement ses sentiments religieux, et protester qu’il mourrait prêtre. Quand on détruisait les