Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/711

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épuisée sur moi en mon absence ; je la défie bien à présent de rien produire de neuf ou de piquant contre moi. »


Guerre et Maison d’Espagne – Ferdinand à Valencey – Fautes dans l’affaire d’Espagne – Historique de ces évènements, etc. – Belle lettre de Napoléon à Murat.


Vendredi 14.

L’Empereur a été malade toute la nuit ; il était encore souffrant tout le jour ; il a pris un bain de pieds, et ne s’est pas trouvé en humeur de sortir ; il a dîné seul dans son intérieur, et m’a fait venir vers le soir.

L’Empereur s’est remis en causant ; le sujet a été constamment la guerre d’Espagne : j’en ai déjà mentionné quelque chose plus haut, où l’on a vu que l’Empereur s’y condamne entièrement. Je cherche à répéter le moins possible, aussi je vais inscrire ici seulement ce qui m’a paru neuf.

« Le vieux roi et la reine, disait l’Empereur, étaient, au moment de l’évènement, l’objet de la haine et du mépris des sujets. Le prince des Asturies conspira contre eux, les fit abdiquer et devint aussitôt l’amour, l’espoir de la nation. Toutefois cette nation était mûre pour de grands changements, et les sollicitait avec force ; j’y étais très populaire ; c’est dans cette situation des esprits que tous ces personnages furent réunis à Bayonne ; le vieux roi me demandant vengeance contre son fils, le jeune prince sollicitant ma protection contre son père et me demandant une femme. Je résolus de profiter de cette occasion unique pour me délivrer de cette branche des Bourbons, continuer dans ma propre dynastie le système de famille de Louis XIV, et enchaîner l’Espagne aux destinées de la France. Ferdinand fut envoyé à Valencey ; le vieux roi, à Compiègne, à Marseille, où il voulut ; et mon frère Joseph fut régner dans Madrid avec une constitution libérale adoptée par une junte de la nation espagnole qui était venue la recevoir à Bayonne.

« Il me paraît, continuait-il, que l’Europe et même la France n’ont jamais eu une idée juste de la situation de Ferdinand à Valencey. On se méprend étrangement dans le monde sur le traitement qu’il a éprouvé, et plus encore peut-être sur ses dispositions et ses opinions personnelles relatives à sa situation. Le fait est qu’il était à peine gardé à Valencey, et qu’il n’eût pas voulu s’en échapper. S’il se trama quelques intrigues pour favoriser son évasion, il fut le premier à les dénoncer. Un Irlandais (baron de Colli) pénétra jusqu’à sa personne au nom de George III, lui offrant de l’enlever ; mais, loin d’y accéder, Ferdinand tout aussitôt en donna connaissance à l’autorité.