Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/728

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sans qu’il fût possible de s’en fâcher ; et il est vrai de dire que l’objet était important pour elle, le temps précieux et court.

« Un des hauts contractants lui répéta plusieurs fois, disait l’Empereur, qu’elle eût dû venir dès le principe ou pas du tout, lui rappelant que, pour sa part, il avait fait tout son possible pour qu’elle vînt tout de suite. On voulait, disait l’Empereur, qu’il y eût recherché un intérêt personnel ; mais, par contre, le mari avait mis un intérêt tout aussi personnel à s’y opposer.

« Le roi de Prusse, disait-il, m’avait fait demander son audience de congé. Alexandre me fit prier, avec mystère, de la retarder seulement de vingt-quatre heures. Je le fis, croyant bien que je me montrais là bon ami. Le roi de Prusse ne me l’a jamais pardonné, non qu’il se doutât en aucune manière de mon véritable tort, disait-il en souriant malignement, mais parce qu’il trouvait la majesté royale blessée d’avoir vu renvoyer au lendemain l’audience qu’il demandait pour le jour même.

« Un autre poids à mon sujet, qu’il n’a jamais pu s’ôter de dessus le cœur, c’était d’avoir violé, disait-il, son territoire d’Anspach, dans notre guerre d’Austerlitz. Dans toutes nos rencontres depuis, quelque grands que fussent les intérêts du moment, il les laissait tous de côté pour revenir à me prouver que j’avais bien réellement violé son territoire à Anspach. Il avait tort ; mais enfin il en était persuadé, et son ressentiment était celui d’un honnête homme : toutefois sa femme s’en dépitait, et lui eût voulu une plus haute politique, etc. »

Napoléon, du reste, se reprochait, disait-il, comme une véritable faute d’avoir reçu en aucune manière le roi de Prusse à Tilsit. Sa première détermination avait été de le refuser. Il eût alors été tenu à moins de ménagements envers lui, et eût pu lui garder la Silésie ; il en eût enrichi la Saxe et se fût probablement par là réservé d’autres destinées. Il disait aussi : « J’apprends que les politiques aujourd’hui blâment fort mon traité de Tilsit. Ils ont découvert, depuis mes désastres, que par là j’avais mis l’Europe à la merci des Russes ; mais si j’avais réussi à Moscou, et on sait à combien peu cela a tenu, ils auraient admiré sans doute alors combien j’avais mis, au contraire, par ce traité, les Russes à la merci de l’Europe. J’avais de grandes vues sur les Allemands… Mais j’ai échoué, et partant, j’ai eu tort : cela est de toute justice… »

Presque tous les jours, à Tilsit, les deux empereurs et le roi sortaient ensemble à cheval ; mais celui-ci était toujours maladroit ou malheu-