Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/76

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M. Domairon, notre professeur de belles-lettres, me disait qu’il avait toujours été frappé de la bizarrerie des amplifications de Napoléon ; il les avait appelées dès lors du granit chauffé au volcan.

Un seul s’y trompa, ce fut le gros et lourd maître d’allemand. Le jeune Napoléon ne faisait rien dans cette langue, ce qui avait inspiré au professeur, qui ne supposait rien au-dessus, le plus profond mépris. Un jour que l’écolier ne se trouvait pas à sa place, il s’informa où il pouvait être ; on répondit qu’il subissait en ce moment son examen pour l’artillerie. « Mais est-ce qu’il sait quelque chose ? disait-il ironiquement. – Comment, Monsieur, mais c’est le plus fort mathématicien de l’école, lui répondit-on. – Eh bien ! je l’ai toujours entendu dire, et je l’avais toujours pensé, que les mathématiques n’allaient qu’aux bêtes. » – « Il serait curieux, disait l’Empereur, de savoir si le professeur a vécu assez longtemps pour jouir de son discernement. ».

Il avait à peine dix-huit ans que l’abbé Raynal, frappé de l’étendue de ses connaissances, l’appréciait assez pour en faire un des ornements de ses déjeuners scientifiques. Enfin, le célèbre Paoli, qui, après lui avoir inspiré longtemps une espèce de culte, le trouva tout à coup à la tête d’un parti contre lui, dès qu’il voulut favoriser les Anglais au détriment de la France, avait coutume de dire que ce jeune homme était taillé à l’antique, que c’était un homme de Plutarque.

En 1787, Napoléon, reçu à la fois élève et officier d’artillerie, sortit de l’école militaire pour entrer dans le régiment de La Fère en qualité de lieutenant en second, d’où il passa, dans la suite, lieutenant en premier dans le régiment de Grenoble.

Napoléon, en sortant de l’école militaire, alla joindre son régiment à Valence. Le premier hiver qu’il y passa, il avait pour compagnons de table Laribossière, qu’il créa depuis, étant Empereur, inspecteur général de l’artillerie ; Sorbier, qui a succédé dans ce titre à Laribossière ; de Hédouville cadet, ministre plénipotentiaire à Francfort ; Mallet, le frère de celui qui conduisit l’échauffourée de Paris en 1812 ; un nommé Mabille, qu’au retour de son émigration l’Empereur plaça, avec le temps, dans l’administration des postes ; Rolland de Villarceaux, depuis préfet de Nismes ; Desmazzis cadet, son camarade d’école militaire, et le compagnon de ses premières années, auquel il a confié, devenu Empereur, le garde-meuble de la couronne.

Il y avait, dans le corps, des officiers plus ou moins aisés ; Napoléon était au nombre des premiers : il recevait douze cents francs de sa famille, c’était alors la grosse pension des officiers. Deux seulement, dans