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n’est plus habitué à lire son nom, qu’il retrouve cependant partout, qu’entouré d’épithètes toujours outrageantes.


Sur la mémoire – Commerce – Idées et système de Napoléon sur divers points d’économie politique.


Dimanche 23.

L’Empereur, dans la première jouissance de ses nouveaux livres, avait passé toute la nuit à lire et à dicter des notes à Marchand ; il était fort fatigué ; ma visite lui a donné du repos. Il a fait sa toilette, et nous avons été nous promener dans le jardin.

Pendant le dîner, l’Empereur parlait des immenses lectures de sa jeunesse. Tous les livres qu’il vient de parcourir relatifs à l’Égypte lui font voir qu’il n’avait rien oublié de ce qu’il avait lu ; il n’avait rien ou presque rien à corriger de ce qu’il avait dicté sur l’Égypte. Il y avait ajouté bien des choses qu’il n’avait pas lues, mais qu’il se trouve, par ces livres, avoir devinées juste.

On a parlé de la mémoire. Il disait qu’une tête sans mémoire est une place sans garnison. La sienne était heureuse ; elle n’était point générale, absolue, mais relative, fidèle, et seulement pour ce qui lui était nécessaire. Quelqu’un ayant dit que sa mémoire, à lui, tenait de sa vue, qu’elle devenait confuse par l’éloignement des lieux et des objets, à mesure qu’il changeait de place, l’Empereur a repris que, pour lui, la sienne tenait du cœur, qu’elle conservait le souvenir fidèle de tout ce qui lui avait été cher.

À propos de bonne mémoire et de tendres ressouvenirs, je dois placer ici un mot de l’Empereur qui m’a échappé dans le temps. Racontant un jour à table une de ses affaires en Égypte, il nommait numéro par numéro les huit ou dix demi-brigades qui en faisaient partie ; sur quoi madame Bertrand ne put s’empêcher de l’interrompre, demandant comment il était possible, après tant de temps, de se rappeler ainsi tous ces numéros : « Madame, le souvenir d’un amant pour ses anciennes maîtresses, » fut la vive réplique de Napoléon.

Après dîner, l’Empereur s’est fait apporter mon Atlas, voulant y vérifier le résumé de tout ce qu’il venait de parcourir dans ses livres sur l’Afrique, et il s’est étonné de l’y retrouver si fidèlement.

Il est passé de là au commerce, à ses principes, aux systèmes qu’il a enfantés. L’Empereur a combattu les économistes, dont les principes pouvaient être vrais dans leur énoncé, mais devenaient vicieux dans leur application. La combinaison politique des divers États, continuait--