Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/778

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des coupables ait subi la mort, parce que tous se sont trouvés en démence de fanatisme religieux ou politique. La dernière tentative, la plus fameuse, est en 1794, je crois. Le roi arrivait au spectacle, ce qui, dans ces temps de crise, était une espèce de fête qu’il répétait de temps à autre, comme pour maintenir l’esprit public. En entrant dans sa loge, un homme du parterre l’ajusta avec un pistolet d’arçon, et la balle n’épargna le monarque que parce qu’il se baissait en cet instant pour saluer le public. Qu’on juge du tumulte effroyable ! L’homme ne chercha point à déguiser son forfait ; c’était précisément le fanatique de Schœnbrunn voulant immoler Votre Majesté, et soutenant toujours qu’il n’avait eu d’autre but que la paix et le bonheur de son pays ; le jury le prononça aliéné, et il ne fut condamné qu’à la réclusion.

« Lors de mon excursion à Londres, en 1814, un hasard singulier m’a mis sous les yeux précisément cet assassin. L’esprit encore tout frais de la mission que Votre Majesté m’avait confiée l’année d’auparavant concernant les dépôts de mendicité et les maisons de correction, j’eus la fantaisie de visiter ces mêmes établissements en Angleterre. Comme on me montrait Newgate dans le plus grand détail, j’entrai dans une salle où se trouvait un grand nombre de condamnés jouissant d’une certaine liberté. L’un de ceux qui frappèrent d’abord les regards de mon conducteur se trouva être Heatfield, qu’il me nomma, et dont je me rappelai aussitôt le nom, lui demandant si ce serait l’assassin de George III. C’était lui-même, me dit-il, qui subissait à Newgate la réclusion perpétuelle à laquelle il avait été condamné pour sa folie. Je fis l’observation que dans le temps cette folie avait été pour le public, ainsi que cela arrive toujours, un objet de beaucoup de doute et de grande contestation. Il me fut répondu que Heatfield était incontestablement fou, mais seulement par crise ; que sa folie d’ailleurs était tellement momentanée qu’on le laissait passer le jour en ville sur sa parole, et qu’il était le premier à indiquer qu’on fît attention à lui quand il sentait que son mal allait le reprendre ; et alors mon conducteur l’appela. M’étant hasardé de lui faire quelques questions, il me reconnut aussitôt à mon accent pour Français, et me dit qu’il s’était beaucoup battu contre les nôtres en Flandre. (Il avait été chasseur ou dragon sous le duc d’York.) Il en portait les marques, me disait-il, en me montrant plusieurs balafres ; et pourtant, ajoutait-il, il était loin de les haïr, car ils étaient braves et n’avaient point de tort dans cette affaire ; on avait été se mêler de leurs discussions