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apporté un cœur trop bourgeois… J’avais si souvent répété que le cœur d’un homme d’État ne devait être que dans sa tête !… Malheureusement ici le mien était demeuré à sa place pour les sentiments de famille, et ce mariage m’a perdu, parce que je croyais surtout à la religion, à la piété, à la morale, à l’honneur de François. Je l’estimais essentiellement… Il m’a cruellement trompé !… Je veux bien qu’on l’ait trompé à son tour ; aussi je lui pardonne… Mais l’histoire l’épargnera-t-elle ? Si toutefois… »

Et Napoléon a gardé le silence quelques instants, la tête appuyée sur une de ses mains. Puis se réveillant : « Quel roman pourtant que ma vie !… a-t-il dit en se levant. Mais ouvrez ma porte et marchons. » Et nous avons parcouru quelque temps les diverses pièces adjacentes…
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Résumé des trois mois, avril, mai et juin.

J’ai déjà fait observer qu’il était impossible, dans un recueil comme le mien, de maintenir en quoi que ce soit l’unité d’intérêt et de but ; or je vais essayer d’y ramener, en retraçant ici en bien peu de mots, et sans interruption, les aggravations dont on a frappé l’Empereur pendant ces trois mois ; les mauvais traitements qu’on a multipliés, la détérioration visible de sa santé, l’ensemble de ses habitudes et les principaux objets de sa conversation ; en un mot, le bulletin physique et moral de sa personne.

Dans cette courte période :

1° Un nouveau gouverneur arrive, et il se trouve que c’est un homme à vues fort étroites ou très méchant ; un caporal avec sa consigne, et non un général avec ses instructions.

2° On exige de chacun des captifs une déclaration comme quoi il se soumet d’avance à toutes les restrictions qu’on pourrait imposer à Napoléon, le tout dans l’espoir de les détacher de sa personne.

3° On nous communique officiellement la convention des souverains alliés qui, sans autre forme de procès, proclament et consacrent l’ostracisme, l’emprisonnement de Napoléon.

4° Nous recevons le bill du parlement d’Angleterre qui convertissait en loi l’acte oppressif des ministres anglais sur la personne de Napoléon.

5° Enfin des commissaires viennent, au nom de leurs monarques, surveiller les chaînes et contempler les souffrances de la victime. Ainsi notre horizon se rembrunit de plus en plus, les chaînes se raccourcis-