Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/791

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le dégoûter de causer, et moi j’aurais perdu beaucoup. Je le laissais donc aller, quelque désir que j’eusse eu parfois de m’éclaircir. Ce que j’en saisissais une première fois me semblait déjà du plus haut prix. L’Empereur se répétait souvent, je le savais : Alors j’en apprendrai davantage avec le temps, me disais-je, et je ne désespérais pas d’arriver de la sorte à être assez maître de la matière pour oser me permettre par la suite de la raisonner tant soit peu avec lui ; ce que sa bonté pour moi, dans les derniers temps, eût daigné trouver convenable ; je lui eusse même été agréable, j’en suis sûr, en ce que cela eût réveillé ses idées et fourni un aliment nouveau à sa conversation. Malheureusement mon enlèvement subit et imprévu d’auprès de sa personne m’a laissé les seuls détails que j’avais recueillis jusque-là ; et à la douleur d’avoir été enlevé à des soins pieux qui étaient devenus mon bonheur, se joindront désormais d’éternels regrets d’avoir, par ma trop grande circonspection peut-être, perdu pour l’histoire une occasion unique qui ne peut se renouveler jamais.

J’ai été bien aise d’entrer minutieusement ici dans ces détails, afin qu’on comprît comment j’ai obtenu une portion de mes récits, et qu’en me lisant, on pût se répondre à soi-même pourquoi des objets aussi importants demeurent aussi imparfaits.

Toutefois, si l’historien n’y trouve pas la trace lumineuse qu’il recherche et qu’il aurait cru devoir y trouver, du moins y rencontrera-t-il une foule d’étincelles propres à le mettre inévitablement sur la voie ; circonstance spéciale qui me servira à caractériser moi-même mon propre recueil, en disant qu’il y a de tout et qu’il n’y a rien ; qu’il n’y a rien, mais qu’il y a de tout. Et en disant qu’il n’y a rien, je me trompe assurément, car on y rencontrera une foule de traits sur les qualités privées, les dispositions naturelles, le cœur et l’âme de l’homme extraordinaire auquel cet ouvrage est consacré ; si bien qu’il deviendra impossible à tout homme de bonne foi et recherchant la vérité de n’être pas à même de se fixer sur son caractère. Or, je prie de se rappeler que tel a été mon unique but, le seul que j’aie annoncé.


Mon fils tombe de cheval – Pillage par les armées – Caractère du soldat français – Détails de Waterloo par le nouvel amiral.


Lundi 1er juillet 1816 au jeudi 4.

Hier mon fils, dans sa promenade, emporté par son cheval, et craignant de se frapper aux arbres, avait cru devoir se jeter à terre. Il s’é-