Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/793

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dats ; je l’eusse fait si j’y eusse trouvé des avantages. Mais rien n’est plus propre à désorganiser et à perdre tout à fait une armée. Un soldat n’a plus de discipline dès qu’il peut piller ; et si en pillant il s’est enrichi, il devient aussitôt un mauvais soldat, il ne veut plus se battre. D’ailleurs, observait-il encore, le pillage n’est pas dans nos mœurs françaises : le cœur de nos soldats n’est point mauvais ; le premier moment de fureur passé, il revient à lui-même. Il serait impossible à des soldats français de piller pendant vingt-quatre heures : beaucoup emploieraient les derniers moments à réparer les maux qu’ils auraient faits d’abord. Dans leur chambrée, ils se reprochent plus tard les uns aux autres les excès commis, et frappent eux-mêmes de réprobation et de mépris ceux d’entre eux dont les actes ont été trop odieux. »

Sur les trois heures, le nouvel amiral, sir Pulteney Malcolm, et tous ses officiers ont été présentés à l’Empereur. L’amiral a causé d’abord seul avec lui près de deux heures. Il a dû être très frappé de la conversation, car il a dit en sortant qu’il venait de prendre une bien belle et bonne leçon sur histoire de France.

L’Empereur a dû lui dire, en terminant : « Vous avez levé une contribution de sept cents millions sur la France ; j’en ai imposé une de plus de dix milliards sur votre pays. Vous avez levé la vôtre par vos baïonnettes ; j’ai fait lever la mienne par votre parlement. » – Et c’est bien là la véritable analyse des affaires, a répondu l’amiral.

L’amiral était à Bruxelles à dîner avec lord Wellington, lorsque Blucher envoya dire qu’il était attaqué. Wellington, disait l’amiral, avait à Waterloo quatre-vingt-dix mille hommes, et Bulow vingt-cinq mille. C’était précisément là le compte qu’avait estimé l’Empereur ; l’amiral ramenait d’Amérique douze mille hommes de vieille troupe, sans aucun soupçon du nouvel état de l’Europe. À la mer, un bâtiment lui apprit la révolution du retour de l’île d’Elbe ; elle lui sembla si magique qu’il ne put la croire. Toutefois, à la vue de Plymouth, il reçut ordre de continuer en toute hâte sur Ostende ; il l’atteignit à temps, quatre mille hommes purent prendre part à la bataille, et ils étaient sans contredit ce qu’il y avait de meilleur dans toute la ligne, assurait l’amiral. Qui peut assigner leur degré d’influence ! Les Anglais crurent la bataille perdue tout le jour, et ils conviennent qu’elle l’était sans la faute de Grouchy. L’amiral était venu de sa personne durant la bataille à portée de Wellington.