Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/811

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refuge, n’offrit plus de place qu’à une quinzaine de vaisseaux au plus, quand il en eut fallu pour cent et au-delà, ce que l’on eût obtenu sans plus de peines, ni beaucoup plus de dépenses, si l’on se fût porté plus en avant dans la mer, seulement au-delà des points que s’était adjugés et qu’avait fixés la terre.

Une autre bévue bien caractéristique et qu’on aurait de la peine à imaginer, c’est que toutes les grandes mesures, pour la rade de Cherbourg, furent prises et arrêtées, la digue commencée, une des passes, celle de l’est, complétée, et qu’on était sur le point de former l’autre, celle de l’ouest, sans s’être procuré la connaissance exacte et précise de toutes les sondes de la rade ; si bien que la passe déjà formée, celle de l’est, large de cinq cents toises, poussée trop près du fort, n’admettait pas sans inconvénient des vaisseaux à marée basse, et que celle que l’on allait former à l’ouest se serait trouvée impraticable, ou du moins fort dangereuse, si le zèle individuel d’un officier (M. de Chavagnac) n’avait fait à temps cette importante découverte, et forcé d’arrêter l’extrémité gauche de la digue à mille deux cents toises du fort Querqueville, chargé de sa défense ; ce qui me semble être et est en effet à trop grande distance. »

Du reste, le système des travaux de la digue, laquelle se trouve à plus d’une lieue du rivage et porte plus de dix-neuf cents toises de long sur quatre-vingt-dix pieds de large, n’a pas été sans éprouver de nombreuses variations commandées au surplus par l’expérience. Les cônes, qui dans le principe devaient se toucher par la base, furent bientôt espacés par force d’accident ou par vue d’économie : la tempête les endommagea, les vers les rongèrent, le temps les pourrit ; on y renonça tout à fait, et l’on se contenta d’y substituer de simples pierres perdues ; et quand on s’aperçut que la force des vagues rendait celles-ci mouvantes, on en vint à avoir recours à d’énormes blocs qui ont fini par répondre à tout ce qu’on attendait.

Ces travaux se sont continués sans interruption sous Louis XVI. Nos assemblées législatives lui donnèrent d’abord un redoublement d’activité ; mais les grands désordres qui suivirent bientôt les firent abandonner tout à fait, et à l’époque du Consulat il ne restait plus de vestige à l’œil de cette fameuse digue. L’imperfection première, le temps, la violence des flots avaient fait tout disparaître jusqu’à plusieurs pieds au-dessous du niveau de la basse mer.

« Néanmoins un de mes premiers soins, disait l’Empereur, dès que j’eus pris le timon des affaires, fut de tourner mes regards sur un