Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/837

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(double vue). Nous avons débité tous les lieux communs qu’amènent d’ordinaire ces objets, jusqu’à parler de sorciers et de revenants. L’Empereur a conclu : « Toutes ces charlataneries et tant d’autres, telles que celles de Cagliostro, Mesmer, Gall, Lavater, etc., se détruisent par ce seul raisonnement, bien simple pourtant : Tout cela peut être, mais cela n’est pas.

L’homme aime le merveilleux, disait-il, il a pour lui un charme irrésistible, il est toujours prêt à quitter celui dont il est entouré, pour courir après celui qu’on lui forge. Il se prête lui-même à ce qu’on le trompe. Le vrai c’est que tout est merveille autour de nous. Il n’est point de phénomène proprement dit ; tout est phénomène dans la nature ; mon existence est un phénomène ; le bois qu’on met dans la cheminée, et qui me chauffe, est un phénomène ; la lumière que voilà, et qui m’éclaire, est un phénomène ; toutes les causes premières, mon intelligence, mes facultés, sont des phénomènes, car tout cela est, et nous ne savons le définir. Je vous quitte ici, continuait-il, me voilà à Paris, entrant à l’Opéra ; je salue les spectateurs, j’entends les acclamations, je vois les acteurs, j’entends la musique. Or, si je puis franchir la distance de Sainte-Hélène, pourquoi ne franchirais-je pas la distance des siècles ? Pourquoi ne verrais-je pas l’avenir comme le passé ? L’un serait-il plus extraordinaire, plus merveilleux que l’autre ? Non ; mais seulement cela n’est pas. Voilà le raisonnement qui détruira toujours, sans réplique, toutes les merveilles imaginaires. Tous ces charlatans disent des choses fort spirituelles ; leurs raisonnements peuvent être justes, ils séduisent ; seulement la conclusion est fausse, parce que les faits manquent.

Mesmer et le mesmérisme ne se sont jamais relevés du rapport de Bailly, au nom de l’Académie des Sciences. Mesmer produisait des effets sur une personne, en la magnétisant en face. Cette même personne, magnétisée par derrière, à son insu, n’éprouvait plus rien. C’était donc de sa part une erreur de son imagination, une faiblesse des sens : c’était le somnambule qui, la nuit, court sur les toits sans danger, parce qu’il ne craint pas ; le jour il se casserait le cou, parce que ses sens le troubleraient.

J’entrepris un jour, disait-il, à une de mes audiences publiques, le charlatan Puységur sur sa somnambule. Il voulut le prendre très haut ; je le terrassai par ces seuls mots : si elle est si savante, qu’elle nous dise quelque chose de neuf. Dans deux cents ans, les hommes auront fait bien des progrès ; qu’elle en spécifie un seul. Qu’elle dise