reur, à qui je parlais de ses progrès, voulut l’apprendre aussi. Je m’étudiai à lui composer une méthode et un tableau très simple qui devaient lui en éviter tout l’ennui. Cela fut très bien deux ou trois jours ; mais l’ennui de cette étude était au moins égal à celui qu’il s’agissait de combattre ; l’anglais fut laissé de côté. L’Empereur me reprocha bien quelquefois de ne plus continuer mes leçons ; je répondais que j’avais la médecine toute prête, s’il avait le courage de l’avaler. Du reste, vis-à-vis des Anglais surtout, sa manière d’être et de vivre, toutes ses habitudes, continuaient à être les mêmes : jamais une plainte, un désir ; toujours impassible, toujours égal, toujours sans humeur.
L’amiral, qui, je crois, sur notre réputation, s’était fort cuirassé au départ, se désarmait insensiblement, et prenait chaque jour plus d’intérêt à son captif. Il venait, au sortir du dîner, représenter que le serein et l’humidité pouvaient être dangereux ; alors l’Empereur prenait quelquefois son bras et prolongeait avec lui la conversation, ce qui semblait remplir sir Georges Cockburn de satisfaction ; il s’en montrait heureux. On m’a assuré qu’il écrivait avec soin tout ce qu’il pouvait recueillir. S’il en est ainsi, ce que l’Empereur a dit un de ces jours, à dîner, sur la marine, nos ressources navales dans le Midi, celles qu’il avait déjà crées, celles qu’il projetait encore sur les ports, les mouillages de la Méditerranée, ce que l’amiral écoutait avec cette anxiété qui redoute l’interruption, tout cela composera pour un marin un chapitre vraiment précieux.
Je reviens aux détails recueillis des conversations habituelles ; en voici sur le siège de Toulon.
En septembre 1793, Napoléon Bonaparte, âgé de vingt-quatre ans, était encore inconnu au monde qu’il devait remplir de son nom ; il était lieutenant-colonel d’artillerie, et se trouvait depuis peu de semaines à Paris, venant de Corse, où les circonstances politiques l’avaient fait succomber sous la faction de Paoli. Les Anglais venaient de se saisir de Toulon, on avait besoin d’un officier d’artillerie distingué pour diriger les opérations du siège ; Napoléon y fut envoyé. Là le prendra l’histoire, pour ne plus le quitter ; là commence son immortalité.
Je renvoie aux Mémoires de la campagne d’Italie ; on y lira le plan d’attaque qu’il fit adopter, la manière dont il l’exécuta ; on y verra que c’est lui précisément, et lui seul, qui prit la place. Ce dut être un bien grand triomphe sans doute ; mais, pour l’apprécier plus dignement encore, il faudrait surtout comparer le procès-verbal du plan d’attaque avec le procès-verbal de l’évacuation : l’un est la prédiction littérale, l’autre en est l’accomplissement mot à mot. Dès cet instant-là réputation du jeune commandant d’artillerie fut extrême ; l’Empereur n’en parle pas sans complaisance ;