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Madame de Balbi – Détails, etc. – Anecdotes de l’émigration.


Mercredi 24.

Avant dîner, l’Empereur me faisant causer dans sa chambre sur l’émigration, le nom de madame de Balbi, laquelle avait été dame d’atours de Madame et fort en évidence au commencement de nos affaires, a été prononcé. Sur quoi l’Empereur a dit : « Mais cette madame de Balbi n’était-elle pas une très méchante femme ? – Assurément non, ai-je répondu : bien au contraire, c’est la meilleure femme du monde, de beaucoup d’esprit, et d’un excellent jugement. – Eh bien ! a dit l’Empereur, elle doit avoir beaucoup à se plaindre de moi. Voilà le malheur des faux rapports : on me l’a fait fort maltraiter. – Oui, Sire, vous l’avez rendue très malheureuse. Madame de Balbi n’existait que pour le charme de la société, et vous l’avez bannie de Paris et confinée dans la province, où je l’ai rencontrée dans une de mes missions, avalant sa langue d’ennui, et ne maudissant pourtant pas Votre Majesté, sur laquelle je la trouvais raisonnable. – Eh bien, pourquoi n’êtes-vous pas venu me tirer d’erreur ? – Ah ! oui, Sire, vous nous étiez si peu connu, pour ce que je vous connais à présent, que je ne l’eusse pas osé pour moi-même. Mais voici un mot de madame de Balbi, à Londres, au fort de notre émigration, qui vous la fera plus connaître que tout ce que je pourrais dire. Au moment de votre arrivée au consulat, quelqu’un venant de Paris se trouvait chez elle à une petite réunion ; il devint bientôt accidentellement l’homme de la fête, par tous les détails qu’il était en état de nous donner d’un lieu et de choses qui nous intéressaient si fort. Et comme on le questionnait sur le Consul : « Il ne peut vivre longtemps, répondit-il, jaune à faire plaisir, » ce fut son mot ; et, s’animant par degrés, il porta pour santé : À la mort du Premier Consul ! – Oh ! l’horreur, s’écria aussitôt madame de Balbi, à la mort d’un homme ! fi donc ! voici qui vaudra mieux : À la santé du Roi.

– Eh bien ! je répète que je l’ai fort maltraitée, disait l’Empereur, et sur les rapports que l’on m’en faisait. On me l’avait représentée comme intrigante, se mêlant de politique, et surtout comme fort adonnée au sarcasme, et cela me rappelle un mot qu’on lui prête peut-être, et qui ne m’a frappé, du reste, que parce qu’il était très spirituel. Un personnage distingué (Louis XVIII) qui s’occupait fort d’elle, me disait-on, s’étant avisé de jalousie, ce dont elle se justifiait très bien, et ne se tenant pas pour battu, lui répondit qu’après tout elle