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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/9

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s’étaient accomplies en opposition l’une de l’autre : la première m’avait coûté mon patrimoine, la seconde aurait pu me coûter la vie ; aucune des deux ne me procurait d’avantageux résultats. Le vulgaire ne verra là-dedans qu’une tergiversation fâcheuse d’opinions ; les intrigants diront que j’ai été deux fois dupe ; le petit nombre seulement comprendra que j’ai deux fois rempli de grands et honorables devoirs.

Quoi qu’il en soit, mes anciens amis, dont la marche que j’avais suivie n’avait pu m’enlever ni l’affection ni l’estime, devenus aujourd’hui tout-puissants, m’appelaient à eux. Il me fut impossible d’écouter leur bienveillance ; j’étais dégoûté, abattu ; je résolus que ma vie publique avait fini. Devais-je m’exposer au faux jugement de ceux qui m’observaient ? Chacun pouvait-il lire dans mon cœur !

Devenu Français jusqu’au fanatisme, ne pouvant supporter la dégradation nationale dont, au milieu des baïonnettes ennemies, j’étais chaque jour le témoin, j’essayai d’aller me distraire, au loin, des malheurs de la patrie. J’allai passer quelques mois en Angleterre. Comme tout m’y parut changé ! C’est que je l’étais beaucoup moi-même !

J’étais à peine de retour, que Napoléon reparut sur nos côtes. En un clin d’œil il se trouva transporté dans la capitale, sans combats, sans excès, sans effusion de sang. Je tressaillis, je crus voir la souillure étrangère effacée et toute notre gloire revenue. Les destins en avaient ordonné autrement !

À peine sus-je l’Empereur arrivé de Waterloo, que j’allai spontanément me placer de service auprès de sa personne. Je m’y trouvai au moment de son abdication, et quand il fut question de son éloignement, je lui demandai à partager ses destinées.

Tels avaient été jusque-là le désintéressement, la simplicité, quelques-uns diront la niaiserie de ma conduite, que, malgré mes relations journalières comme officier de sa maison et membre de son conseil, il me connaissait à peine. « Mais savez-vous jusqu’où votre offre peut vous conduire ? me dit-il dans son étonnement. – Je ne l’ai point calculé, » répondis-je.

Il m’accepta, et je suis à Sainte-Hélène.