Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/8

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neur de la position délicate où je me trouvais, je transportais désormais librement, entièrement et de bon cœur, au nouveau souverain tout le zèle, le dévouement, l’amour que j’avais constamment nourris pour mes anciens maîtres, et le résultat de ma démarche fut mon admission immédiate à la cour.

Cependant je désirais ardemment à mes paroles joindre quelques actions. Les Anglais envahirent Flessingue, et menacèrent Anvers ; je courus, comme volontaire, à la défense de cette place ; Flessingue fut évacuée, et ma nomination de chambellan me rappela auprès du prince. À ce poste honorifique j’avais besoin, dans mes idées, de joindre quelque occupation utile ; je demandai et j’obtins d’être membre du conseil d’État. Alors se succédèrent des missions de confiance : je fus envoyé en Hollande, au moment de sa réunion, pour y recevoir les objets relatifs à la marine ; en Illyrie, pour y liquider la dette publique ; et dans la moitié de l’empire, pour inspecter les établissements publics de bienfaisance. Dans nos derniers malheurs, j’ai reçu de douces preuves qu’après moi j’avais laissé quelque estime dans les pays où j’avais été envoyé.

Cependant la Providence avait posé un terme à nos prospérités : on connaît la catastrophe de Moscou, les malheurs de Leipsick, le siège de Paris. Je commandais dans cette cité une de ses légions, qui s’honora le 31 mars de la perte d’un assez grand nombre de citoyens. Au moment de la capitulation, je remis mon commandement entre les mains de celui qui venait après moi ; je me croyais, à d’autres titres, d’autres devoirs encore auprès de la personne du prince ; mais je ne pus gagner Fontainebleau à temps : l’Empereur abdiqua, et le roi vint régner.

Alors ma situation devint bien plus étrange encore qu’elle ne l’avait été douze ans auparavant. Elle triomphait enfin cette cause à laquelle j’avais sacrifié ma fortune, pour laquelle j’étais demeuré douze ans en exil au-dehors, et six ans dans l’abnégation au-dedans ; elle triomphait enfin, et pourtant le point d’honneur et d’autres doctrines allaient m’empêcher d’en recueillir aucun bien !

Quelle marche durait été plus bizarre que la mienne ? Deux révolutions