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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/90

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avoir été attrapée ; Muiron, son adjudant, découvre que le canonnier mort en était infecté. L’ardeur de la jeunesse, l’activité du service, font que le commandant d’artillerie se contente d’un léger traitement, et le mal disparut ; mais le poison n’était que rentré, il affecta longtemps sa santé, et faillit lui coûter la vie. De là, la maigreur, l’état chétif et débile, le teint maladif du général en chef de l’armée d’Italie et de l’armée d’Égypte.

Ce ne fut que beaucoup plus tard, aux Tuileries, après de nombreux vésicatoires sur la poitrine, que Corvisart le rendit tout à fait à la santé ; alors aussi commença cet embonpoint qu’on lui a connu depuis.

Napoléon, de simple commandant de l’artillerie de l’armée de Toulon, eût pu en devenir le général en chef avant la fin du siège. Le jour même de l’attaque du Petit-Gibraltar, le général Dugommier, qui la retardait depuis quelques jours, voulait la retarder encore ; sur les trois ou quatre heures après midi, les représentants envoyèrent chercher Napoléon ; ils étaient mécontents de Dugommier, surtout à cause de son nouveau délai, et, voulant le destituer, ils offrirent le commandement au chef de l’artillerie, qui s’y refusa, et alla trouver son général, qu’il estimait et aimait, lui fit connaître ce dont il s’agissait, et le décida à l’attaque. Sur les huit ou neuf heures du soir, quand tout était en marche, au moment de l’exécution, les choses changèrent, les représentants interdisaient alors l’attaque ; mais Dugommier, toujours poussé par le commandant d’artillerie, y persista : s’il n’eût pas réussi, il était perdu, sa tête tombait ; tels étaient le train des affaires et la justice du temps.

Ce furent les notes que les comités de Paris trouvèrent au bureau de l’artillerie sur le compte de Napoléon qui firent jeter les yeux sur lui pour le siège de Toulon. On vient de voir que dès qu’il y parut, malgré son âge et l’infériorité de son grade, il y gouverna : ce fut le résultat naturel de l’ascendant du savoir, de l’activité, de l’énergie, sur l’ignorance et la confusion du moment. Ce fut réellement lui qui prit Toulon, et pourtant il est à peine nommé dans les relations. Il tenait déjà cette ville, que dans l’armée on ne s’en doutait point encore : après avoir enlevé le Petit-Gibraltar qui pour lui avait toujours été la clef et le terme de toute l’entreprise, il dit au vieux Dugommier, qui était accablé de fatigues : « Allez vous reposer ; nous venons de prendre Toulon, vous pourrez y coucher après-demain. » Quand Dugommier vit la chose en effet accomplie, quand il récapitula que le jeune commandant d’artillerie lui avait toujours dit d’avance, à point nommé, ce qui arriverait, ce fut