Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/109

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toutes les provinces allemandes, c’est-à-dire que nos troupes eurent à occuper un tiers de la monarchie autrichienne avec plus de huit millions de population. L’armée ennemie se retira par le nord de la Moravie, au-delà de Presbourg, dans le reste de la Hongrie, abandonnant désormais la défense de la Bohême à ses seules et propres forces. Le commandement en fut retiré à l’archiduc Charles, qui emporta, quelles qu’eussent été d’ailleurs ses combinaisons militaires, l’intérêt le plus vif des militaires français, leur admiration même pour la valeur personnelle dont il avait prodigué les preuves. Son malheur, disait-on, avait été d’avoir eu Napoléon à combattre, et chacun pensait qu’aucun général en Europe n’eût pu même faire aussi bien.

« Là se termine une campagne de moins de trois mois, qui pourrait même compter une autre espèce de suspension d’armes tacite de quarante-trois jours ; et, durant ce court intervalle, que de choses ! et quels résultats !!!…

« La victoire de Wagram eut sur les esprits et la politique l’influence devenue habituelle. Napoléon avait ouvert la campagne au moment d’une crise vraiment effrayante : la ligue était générale contre lui, les machinations universelles. La victoire d’Eckmülh frappa de terreur toutes les malveillances, et contint tous les mouvements ; le revers d’Essling ranima tous les plans et réveilla toutes les espérances. Wagram les confondit de nouveau ; chacun s’empressa de reprendre son attitude soumise, et de multiplier ses protestations de dévouement et de bonne amitié.

« Le cabinet anglais, qui n’avait pas su ou voulu aider l’Autriche quand elle luttait encore, se hâta, aussitôt qu’il la vit abattue, d’effectuer, avant le retour des troupes françaises, son expédition contre le port d’Anvers, dont la destruction lui tenait si fort à cœur : il la manqua par impéritie. Toutefois cette diversion suffit encore pour ranimer les secrètes espérances de l’Autriche, et lui faire traîner les négociations en longueur. C’est dans cet intervalle qu’un évènement imprévu fut sur le point de déjouer toutes les combinaisons, et de donner un tout autre cours aux évènements de l’Europe : Napoléon fut à l’instant de tomber à Schœnbrunn sous le couteau, d’un fanatique. Si l’acte eût été consommé, qui peut dire ce qui se serait passé en Europe[1] !!!

  1. J’ai entendu l’Empereur se faire précisément la même question, et y répondre en parcourant en peu d’instants huit ou dix hypothèses diverses avec cette fécondité d’idées et cette rapidité d’expression qui lui étaient si particulières. Si je ne l’ai pas mentionné en son lieu, c’est que, ne voyant pas qu’il en pût ressortir aucun bien, et y jugeant de nombreux inconvénients, j’ai cru devoir omettre le tout ; seulement il termina disant : « Je n’hésite pas à prononcer que mon assassinat à Schœnbrunn eût été moins funeste pour la France que ne l’a été mon union avec l’Autriche. »