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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/114

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Staël. Elle couronna son Benjamin au milieu d’une assemblée brillante, et le proclama un second Mirabeau. À cette farce, qui n’était que ridicule, succédèrent des plans plus dangereux. Lors du concordat, contre lequel madame de Staël était forcenée, elle unit tout à coup contre moi les aristocrates et les républicains : – Vous n’avez plus qu’un moment, leur criait-elle ; demain le tyran aura quarante mille prêtres à son service. »

Madame de Staël ayant enfin lassé toute patience, disait Napoléon, fut envoyée en exil. Son père avait déjà vivement déplu lors de la campagne de Marengo. « À mon passage, j’avais voulu le voir, disait l’Empereur, et n’avais trouvé qu’un lourd régent de collège, bien boursouflé. Peu de temps après, et dans l’espoir sans doute de reparaître avec mon secours sur la scène du monde, il publia une brochure dans laquelle il prouvait que la France ne pouvait plus être république ni monarchie. On ne voit pas trop ce qui lui restait. Il appelait dans cet ouvrage le Premier Consul l’homme nécessaire, etc., etc. Lebrun lui répondit par une lettre en quatre pages, dans son beau style et d’une façon très mordante : il lui demandait s’il n’avait pas assez fait de mal à la France, et s’il ne se lassait pas, après son épreuve de la Constituante, de prétendre à la régenter de nouveau.

Madame de Staël, dans sa disgrâce, combattait d’une main et sollicitait de l’autre. Le Premier Consul lui fit dire qu’il lui laissait l’univers à exploiter, qu’il lui abandonnait le reste de la terre et ne se réservait que Paris, dont il lui défendait d’approcher. Mais Paris était précisément l’objet de tous les vœux de madame de Staël. N’importe, le Consul fut constamment inflexible. Toutefois madame de Staël renouvelait de temps à autre ses tentatives. Sous l’empire, elle voulut être dame du palais ; il y avait sans doute à dire oui et non ; car le moyen qu’on pût tenir madame de Staël tranquille dans un palais, etc., etc. »

Après dîner, l’Empereur nous a lu les Horaces, que notre admiration a souvent interrompus. Jamais Corneille ne nous avait semblé plus grand, plus beau, plus nerveux que sur notre rocher.


De la chasse à Saint-Hélène, etc. – Veille du 15 août, etc..


Mercredi 14.

L’Empereur est sorti de bonne heure. Avant neuf heures il m’a fait appeler ; il était dans l’intention de monter à cheval et d’essayer de pouvoir tirer quelques perdrix que nous apercevons toutes les fois que nous sommes en voiture, qui se laissent toujours approcher tant que