Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/120

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de tout cela, car il ne saurait donner ses scrupules pour excuses, lui qui s’allia avec les Turcs et les amena au milieu de nous. Tout bonnement, c’est qu’il n’y voyait pas si loin. Bêtise du temps ! intelligence féodale ! François Ier, après tout, n’était qu’un héros de tournois, un beau de salon, un de ces grands hommes pygmées.

« L’évêque de Nantes (de Voisins), disait encore l’Empereur, me rendait réellement catholique par la sagesse de ses raisonnements, son excellente morale et sa tolérance éclairée. Marie-Louise, dont il était le confesseur, le consulta un jour sur l’obligation de faire maigre les vendredis. « À quelle table mangez-vous ? lui dit l’évêque. – À celle de l’Empereur. – Y commandez-vous ? – Non. – Vous n’y pouvez donc, rien ; le ferait-il lui-même ? – Il est à croire que non. – Soumettez-vous alors et ne provoquez pas un sujet de scandale. Votre premier devoir est de lui obéir et de le faire respecter ; vous ne manquerez pas d’autres moyens de vous amender et de vous priver aux yeux de Dieu. »

« Ce fut la même chose encore pour une communion publique que quelques-uns mirent en tête à Marie-Louise pour le jour de Pâques. Elle ne le voulait pourtant pas sans avoir pris l’avis de son sage confesseur, qui l’en dissuada par les mêmes raisonnements. Quelle différence, disait l’Empereur, si elle eût été travaillée par un fanatique ! quelles querelles, quelle désunion n’eût-il pas pu amener entre nous ! Quel mal n’eût-il pas pu faire dans les circonstances où je me trouvais !

« L’évêque de Nantes, nous faisait observer l’Empereur, avait vécu avec Diderot, au milieu des incrédules, et y avait toujours été convenablement ; aussi avait-il réponse à tout : il avait surtout le bon esprit d’abandonner tout ce qui n’était pas soutenable, de faire rétrograder la religion de tout ce qu’il n’eut pu défendre. « Un animal qui se meut, combine et pense, n’a-t-il pas une âme ? lui disait-on. – Pourquoi pas, répondit-il. – Mais où va-t-elle ? car elle n’est pas à l’égal de la nôtre. – Que vous importe ? elle demeure peut-être dans les limbes. » Il se retirait donc dans les derniers retranchements, dans la forteresse même, et là se ménageait toujours ainsi un excellent terrain. Aussi argumentait-il bien mieux que le pape, et souvent il le désolait. C’était, parmi nos évêques, le plus ferme appui des libertés gallicanes. C’était mon oracle, mon flambeau ; il avait ma confiance aveugle sur les matières religieuses, car dans mes querelles avec le pape j’avais pour premier soin, bien qu’en aient dit les intrigants et les brouillons à soutane, de ne pas toucher au dogme ; si bien que dès que ce bon et