Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/194

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vie qu’il y avait menée, de quelques visites qu’il y avait reçues, etc., etc. Puis il m’a questionné sur notre existence à Paris à cette époque correspondante, sur la cour, sa physionomie. Et la conversation l’ayant amené à mentionner les gardes du corps : « Sire, s’est permis de lui dire quelqu’un, dans votre suite, parmi nous, se trouve un de leurs déserteurs. – Comment cela ? Expliquez. – Sire, parce qu’au moment de la restauration, un des capitaines des gardes, pour qui j’ai beaucoup d’affection, et qui m’en avait toujours témoigné, malgré la différence de nos opinions, m’offrit de placer mon fils dans sa compagnie, me disant qu’il l’y traiterait comme le sien. Je lui objectai qu’il était trop jeune, que cela ferait tort à ses études ; et comme il m’assurait que non, je lui demandai la permission d’y réfléchir. Quand j’en parlai ailleurs, on se récria sur la bonne fortune que j’avais dédaignée ; c’était une grande faveur, me disait-on, parce qu’en très peu de temps, et sans interrompre son éducation, mon fils deviendrait susceptible d’un très bel avancement. Je fus donc témoigner au capitaine des gardes qu’il avait dû me trouver très ridicule de ne pas m’être montré plus reconnaissant, et il m’avoua qu’il s’était bien aperçu que je n’avais pas compris. Toutefois, par une circonstance ou une autre, Votre Majesté est revenue avant que mon fils n’eût eu l’honneur d’être présenté à son colonel : et comme à notre départ pour Sainte-Hélène j’ai été l’enlever à son lycée, le voilà pleinement et dûment un déserteur. L’Empereur en a beaucoup ri, et a terminé en disant : « Ce que c’est pourtant que les révolutions ! Quel croisement d’intérêts, de rapports, d’opinions ! Heureux encore quand elles ne dissolvent pas les familles, ou qu’elles ne mettent pas aux prises les meilleurs amis ! » Et de là il a passé à me questionner sur ma famille, et a fini par me dire : « Mais j’ai vu, dans Alphonse de Beauchamps, votre nom parmi les royalistes qui, le 30 mars, provoquèrent à la royauté sur la place Louis XV : je vois bien que ce n’est pas vous ; je crois même que vous m’avez déjà expliqué cela ; mais l’idée ne m’en est pas restée. – Sire, c’est un cousin de mon nom. Cette citation me gêna un peu dans le moment, et je réclamai vainement dans les journaux ; ce qu’il y avait de plaisant, c’est que le cousin réclamait vivement de son côté pour qu’on spécifiât bien que c’était lui. Je crois bien que la dénomination ainsi générale était une bienveillance de l’auteur, que j’avais vu jadis chez moi, et qui voulait peut-être par là me ménager une occasion de me faire valoir, si j’en avais l’envie. Du reste, je dois à ce cousin la justice de dire que, me trouvant, moi, près de Votre Majesté, je lui offris