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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/198

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Or l’Empereur, par les journaux, les ouvrages ou notre situation, était constamment ramené par la force des choses sur l’Angleterre. Il revenait donc souvent sur ce qu’elle avait dû faire, sur ce qui lui demeurait à entreprendre, sur ce qui pouvait lui procurer un avenir plus prospère, etc., etc. Je vais tâcher de recueillir ici quelque peu de ce que je lui ai entendu dire à cet égard en diverses occasions.

Un jour il disait : « Le système colonial que nous avons connu est fini pour tous, pour l’Angleterre qui possède toutes les colonies, comme pour les autres puissances qui n’en possèdent plus aucune. L’empire des mers aujourd’hui appartient à l’Angleterre sans discussion. Pourquoi, dans une situation toute nouvelle, continuerait-elle une marche routinière ? Pourquoi ne créerait-elle pas des combinaisons plus profitables ? Il faut qu’elle imagine une espèce d’émancipation de ses colonies ; aussi bien beaucoup lui échapperont avec le temps, et c’est à elle à profiter du moment pour s’assurer des liens nouveaux et des rapports plus avantageux. Pourquoi la plupart de ces colonies ne seraient-elles pas sollicitées à acheter leur émancipation de la mère patrie, au prix d’une quotité de la dette générale, qui deviendrait spécialement la sienne ? La mère patrie s’allégerait de ses charges, et n’en conserverait pas moins tous ses avantages. Elle conserverait pour liens la foi des traités, les intérêts réciproques, la similitude du langage, la force de l’habitude ; elle se réserverait d’ailleurs, par forme de garantie, un seul point fortifié, une rade pour ses vaisseaux, à la façon des comptoirs d’Afrique. Que perdrait-elle ? rien ; et elle sauverait les embarras, les frais d’une administration qui ne la font que trop souvent détester. Les ministres auraient, il est vrai, quelques places de moins à donner ; mais la nation recueillerait certainement davantage, etc.

« Je ne doute pas, ajoutait-il, qu’avec une connaissance approfondie de la matière, on obtînt quelque résultat utile de ces idées brutes, quelque erronées qu’elles pussent être à leur premier jet. Il n’est pas jusqu’à l’Inde même dont il ne fût possible sans doute de tirer quelque grand parti par quelques combinaisons nouvelles. Les Anglais m’assurent ici que l’Angleterre n’en retire aucun bénéfice dans la balance de son commerce ; les frais emportent tout ou dépassent même encore : il ne reste donc que des gaspillages individuels et quelques fortunes personnelles colossales ; mais ce sont autant d’aliments pour le patronage des ministres ; et dès lors on se donnerait bien de garde d’y toucher. Puis ces nababs, comme ils les appellent, en revenant en Angleterre,