Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/20

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Cazalès était l’honneur de notre province, nous le conduisîmes ainsi chez les princes, et il en fut bien reçu.

« Un député du tiers-état, qui s’était fort distingué à la Constituante par son royalisme, était au milieu de nous. Un de nos princes, s’adressant un jour à lui dans la foule, lui dit : « Mais, un tel, expliquez-moi donc, vous qui êtes si honnête homme, comment vous avez pu dans le temps prêter le serment du jeu de paume ? » Le député, interloqué de l’algarade, balbutia d’abord qu’il avait été pris à court qu’il ne devinait pas les conséquences funestes… Puis, se remettant aussitôt en selle, il répliqua avec vivacité : « Du reste, j’observerai à Monseigneur que ce n’est pas ce qui a perdu la monarchie française, mais bien la réunion de la noblesse, qui est venue nous joindre, sur une lettre très touchante de Monseigneur. – Holà ! dit le prince, en le frappant doucement sur le ventre, apaisez-vous, mon cher, je n’ai pas voulu vous fâcher par cette question. »

« Toutefois, avec le temps, on régularisa tant bien que mal quelque chose ; nous fûmes classés par corps et par province ; on nous assigna des cantonnements, on nous donna des armes ; les gardes du corps du roi furent réunis, habillés, équipés, soldés, et bientôt ils présentèrent une troupe superbe par sa tenue et sa régularité. La coalition d’Auvergne et le corps de la marine, partie à pied et partie à cheval, se firent spécialement remarquer par leur discipline, leur instruction et leur fraternité. Et l’on ne saurait trop admirer notre dévouement et notre abnégation : chaque officier ne fut plus qu’un simple soldat, tenu à des pratiques, à des fatigues fort étrangères à ses mœurs, et soumis aux plus grandes privations ; car il n’y avait point de solde, et beaucoup, dans le nombre, n’eurent bientôt plus d’autres ressources que la cotisation de leurs camarades plus heureux. Nous méritions un meilleur résultat, ou, pour mieux dire, nous étions dignes d’une meilleure entreprise. On avait soigneusement réuni tous les officiers des mêmes régiments, pour qu’ils présentassent le cadre tout formé à leurs soldats, qui ne manqueraient pas, pensions-nous, d’arriver à eux dès qu’ils les apercevraient : tel était notre aveuglement ! C’est par un pareil motif qu’on avait réuni de même les gentilshommes par province, ne doutant pas de leur heureuse influence sur l’ensemble de la population : notre maladie était de nous croire toujours désirés, attendus, adorés.

« Tous ces rassemblements s’exerçaient et manœuvraient publiquement, bien qu’aux interpellations diplomatiques à cet égard il fût répondu hardiment qu’il n’en était rien, ou qu’on ne manquerait pas de