Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/230

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quante jours sans autre secours que d’avoir bu deux fois ; une autre qui s’était soutenue pendant vingt jours à l’aide d’eau seulement, etc., etc.

Quelqu’un disait à ce sujet que Charles XII, par seule expérience sur lui-même, et par pure contradiction pour les raisonnements soutenus autour de lui, était demeuré cinq à six jours sans manger ; et au bout de ce temps avait avalé un dindon et un gigot, mais il avait failli en crever. L’Empereur en riait, et nous assura qu’il n’avait pas la prétention d’aller jusque-là, quelque tentant d’ailleurs que fût le modèle.

Le grand maréchal est arrivé. L’Empereur lui a demandé comment il le trouvait : « Mais un peu jaune, » a répondu Bertrand, et c’était très vrai. L’Empereur, dans un mouvement de gaieté, s’est mis à le poursuivre dans le salon pour lui saisir l’oreille, disant : « Comment, un peu jaune ! vous m’insultez, Monsieur le grand maréchal ; vous prétendez dire par là que je suis bilieux, morose, atrabilaire, violent, injuste, tyran ; allons, livrez-moi cette oreille, que je me venge, etc. »

Le dîner est arrivé, et l’Empereur a hésité s’il dînerait avec nous ou s’il dînerait dans son intérieur, et il s’est décidé pour ce dernier, de peur, disait-il, d’être tenté d’imiter Charles XII, s’il venait à la grande table. Mais, certes, cela lui eût été bien difficile, car étant venu nous surprendre au milieu du dîner, nous lui avons fait pitié, disait-il ; et en