Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/270

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grâce. La bonté de votre cœur ne doit point être écoutée, lorsqu’elle peut nuire à vos peuples. Dans l’affaire des Juifs, j’aurais fait comme vous ; dans celle des contrebandiers de Middelbourg, je me serais bien gardé de faire grâce.

« Mille raisons devaient vous porter à laisser la justice faire une exécution exemplaire qui aurait eu l’excellent effet de prévenir beaucoup de crimes, par la terreur qu’elle aurait inspirée. Des gens du roi sont égorgés au milieu de la nuit, les assassins sont condamnés… Votre Majesté commue la peine de mort en quelques années de prison ! Quel découragement n’en résultera-t-il point parmi les gens qui font rentrer vos impôts ! l’effet politique est très mauvais : je m’explique.

« La Hollande était le canal par lequel, depuis plusieurs années, l’Angleterre introduisait sur le continent ses marchandises. Les marchands hollandais ont gagné à ce trafic des sommes immenses : voilà pourquoi les Hollandais aiment la contrebande et les Anglais ; et voilà les raisons pour lesquelles ils n’aiment point la France, qui défend la contrebande et qui combat les Anglais. La grâce que vous avez accordée à ces contrebandiers assassins, est une espèce d’hommage que vous rendez au goût des Hollandais pour la contrebande. Vous paraissez faire cause commune avec eux, et contre qui ?… contre moi.

« Les Hollandais vous aiment ; vous avez de la simplicité dans les manières, de la douceur dans le caractère… Vous les gouvernez selon eux ; si vous vous montriez fermement résolu à réprimer la contrebande, si vous les éclairiez sur leur position, vous useriez sagement de votre influence : ils croiraient que le système prohibitif est bon, puisque le roi en est le propagateur. Je ne vois pas quel parti pourrait tirer Votre Majesté d’un genre de popularité qu’elle acquerrait à mes dépens. Assurément la Hollande n’est point au temps de Ryswick, et la France aux dernières années de Louis XIV. Si la Hollande ne peut suivre un système politique indépendant de celui de la France, il faut qu’elle remplisse les conditions de l’alliance.

« Ce n’est point au jour la journée que doivent travailler les princes, mon frère, c’est sur l’avenir qu’il faut jeter les yeux. Quel est aujourd’hui l’état de l’Europe ? l’Angleterre d’un côté. Elle possède par elle-même une domination à laquelle jusqu’à présent le monde entier a dû se soumettre. De l’autre, l’empire français et les puissances continentales, qui, avec toutes les forces de leur union, ne peuvent s’accommoder du genre de suprématie qu’exerce l’Angleterre. Ces puissances avaient aussi des colonies, un commerce maritime : elles possèdent