Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/29

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la place, la culasse en avant. « Comment, Messieurs, le faisait-on s’écrier, sont-ce bien des gentilshommes, qui conduisent ainsi leurs canons à l’ennemi ? Et s’il se présentait, comment pourriez-vous tirer dessus ? » Et il s’obstinait à ne vouloir pas comprendre ce que les officiers d’artillerie se tuaient à lui dire, que pourtant il en était toujours ainsi partout, et que sous peine d’invention de sa part, on ne pouvait faire autrement. Et dès cet instant nous expédiâmes son brevet, que contresigna la multitude.

« Mais bientôt tout ce burlesque tourna subitement au dernier sérieux ; la scène changea comme par magie, et nos malheurs apparurent aussitôt dans toute leur affreuse nudité. Soit trahison, soit faiblesse, soit intérêt de sa politique ou maladie dans son armée, soit force réelle ou seule adresse du général français, le roi de Prusse traita secrètement avec lui, fit soudainement volte-face, et marcha vers la frontière, évacuant le territoire de la France. Alors commença pour nous la plus épouvantable débâcle ; le langage ne saurait rendre les indignes traitements dont nous fûmes l’objet, ni le juste ressentiment dont un cœur généreux dut se remplir contre les Prussiens nos alliés. Nos princes dégradés, méconnus, insultés par eux, nos équipages, nos effets les plus nécessaires, notre linge même pillés, nos personnes bassement