Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/376

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m'eussent entamé, en seraient-ils demeurés là ? Leur paix eut-elle été de bonne foi, leur réconciliation sincère ? C’eût été bien peu les connaître, c’eût été vraie folie que de le croire et de s’y abandonner. N’eussent-ils pas profité de l’avantage immense que le traité leur eût consacré pour achever, par l’intrigue, ce qu’ils avaient commencé par les armes ? Et que devenaient la sûreté, l’indépendance, l’avenir de la France ? Que devenaient mes obligations, mes serments, mon honneur ? Les alliés ne m’eussent-ils pas perdu au moral dans les esprits, comme ils venaient de le faire sur le champ de bataille ? Ils n’eussent trouvé l’opinion que trop bien préparée ! Que de reproches la France ne m’eût-elle pas faits d’avoir laissé morceler le territoire confié à ma garde ! Que de fautes l’injustice et le malheur n’eussent pas accumulées sur ma tête ! Avec quelle impatience les Français, pleins du souvenir de leur puissance et de leur gloire, eussent supporté, dans ces jours de deuil, les charges inévitables dont il eût fallu les accabler ! Et de là des commotions nouvelles, l’anarchie, la dissolution, la mort. Je préférai de courir jusqu’à extinction les chances des combats, et d’abdiquer au besoin[1], etc. »

  1. Voici qui consacrait en Europe les paroles de Napoléon dites à Sainte-Hélène.
    Lettre de M. de Caulaincourt au rédacteur du Constitutionnel (numéro du 21 janvier 1820.)

        « Monsieur, dans un ouvrage de M. Koch, intitulé : Campagne de 1814, se trouvent rapportés plusieurs fragments de lettres écrites par moi à l’Empereur et à M. le prince de Neufchâtel, pendant la durée du congrès à Châtillon.
        « Je crois devoir déclarer que je suis absolument étranger à la communication de mes correspondances et à leur publication. Les hautes sources auxquelles l’auteur annonce avoir puisé donnent à son ouvrage une importance historique qui ne permet point, en ce qui me concerne, de consacrer par mon silence les erreurs qu’il renferme. La plupart des détails relatifs aux évènements et aux négociations qui ont eu lieu depuis le 31 mars jusqu’au 12 avril sont inexacts.
        « Quant au congrès de Châtillon, si les évènements ont justifié le désir que j’avais de voir la paix rendue à ma patrie, il serait injuste de laisser ignorer à la France, à l’histoire, les motifs d’intérêt national et d’honneur qui empêchèrent l’Empereur de souscrire aux conditions que les étrangers voulaient nous imposer.
        « Je remplis donc le premier des devoirs, celui d’être équitable et vrai, en faisant connaître ces motifs par l’extrait suivant des ordres de l’Empereur.

    « Paris, 19 janvier 1811.


        « … La chose sur laquelle l’Empereur insiste le plus, c’est la nécessité que la France conserve ses limites naturelles ; c’est là ma condition sine qua non. Toutes les puissances, l’Angleterre même, ont reconnu ces limites à Francfort. La France, réduite à ses limites anciennes, n’aurait pas aujourd’hui les deux tiers de la puissance relative qu’elle avait il y vingt ans. Ce qu’elle a acquis du côté du Rhin ne compense point ce que la Russie, l’Autriche et la Prusse ont acquis par le démembrement de la Pologne. Tous ces États se sont agrandis : vouloir ramener la France à son état ancien, ce serait la faire déchoir et l’avilir. La France, sans les départements du Rhin, sans la Belgique, sans Ostende, sans Anvers, ne serait rien. Le système de ramener la France à ses anciennes frontières est inséparable du rétablissement des Bourbons, parce qu’eux seuls pourraient offrir une garantie du maintien de ce système. L’Angleterre le sent bien ; avec tout autre système, la paix, sur une telle base, serait impossible et ne pourrait durer. Ni l’Empereur, ni la république, si des bouleversements la faisaient renaître, ne souscriraient jamais à une telle condition. Pour ce qui est de Sa Majesté, sa résolution est bien prise ; elle est immuable : elle ne laissera pas la France moins grande