Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/415

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elle avait montré d’attachement pour lui durant son séjour à l’île d’Elbe : « Qui ? elle ! s’est écrié l’Empereur avec surprise et satisfaction. – Oui, Sire. – Ah ! pauvre femme, a-t-il ajouté avec le geste et l’accent du regret ; et moi qui l’avais pourtant si maltraitée ! Eh bien ! voilà qui paie du moins pour les renégats que j’avais tant comblés !… » Et après quelques secondes de silence, il a dit significativement : « Il est bien sûr qu’ici-bas on ne connaît véritablement les âmes et les sentiments qu’après de grandes épreuves ! »

L’Empereur, à dîner, était fort bien, très content et même gai ; il se félicitait d’avoir passé sa dernière crise sans s’être soumis à la médecine, sans avoir payé tribut au docteur ; et c’est ce qui fâchait celui-ci, disions-nous ; il se serait contenté de si peu, le plus léger acte eût suffi ! Il n’eût demandé que le billet de confession du clergé, disait l’Empereur, tout en riant beaucoup de la chose, et ajoutant que par pure complaisance il avait été jusqu’à essayer un gargarisme qu’il avait trouvé d’une acidité violente et qui lui avait fait mal, faisant observer en cela qu’il ne lui fallait que des remèdes extrêmement doux, tous les autres le crispant infailliblement. « Au physique comme au moral, disait-il, il faut me prendre par la douceur, autrement je me cabre. »

Le cours de la conversation a conduit l’Empereur encore une fois sur le compte des impératrices Joséphine et Marie-Louise. Il a multiplié sur elles les détails les plus aimables et les plus circonstanciés, et a terminé par son adage ordinaire, que l’une était les grâces et tous leurs charmes ; l’autre, l’innocence et tous ses attraits.

L’Empereur détaillait ce qu’avait coûté la Malmaison : environ 3 ou 400.000 francs, c’est-à-dire tout ce qu’il possédait alors, disait-il ; et il énumérait ensuite tout ce que pouvait avoir reçu de lui l’impératrice Joséphine ; concluant qu’avec un peu d’ordre et de régularité seulement, elle aurait dû laisser des millions. « Son gaspillage, disait l’Empereur, faisait mon supplice. Calculateur comme je le suis, il devait être dans ma nature d’aimer mieux donner un million que de voir gaspiller 100.000 francs. » Il nous racontait comment, étant tombé un jour sans être attendu dans le petit cercle du matin de Joséphine, il avait trouvé une dame professant, à la lettre, modes et chiffons. « Mon apparition subite causa, disait-il, un grand désordre dans la séance académique. C’était une célèbre marchande de modes, une de ces fameuses du jour à laquelle j’avais fait défendre positivement d’approcher de l’impératrice, qu’elle ruinait. Je donnai quelques ordres inaperçus, et à sa sortie on s’en empara ; elle fut conduite à Bicêtre. Ce fut un grand bruit