Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/45

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Mes erreurs en dépenses de ce genre, ajoutait-il, ne pouvaient après tout être grandes. Grâce à mes budgets, ces erreurs s’apercevaient et se corrigeaient de force chaque année ; elles ne pouvaient jamais aller au-delà d’une petite quotité de la faute principale. »

L’Empereur avait eu toutes les peines du monde, assurait-il à faire comprendre et adopter son système de budgets en bâtisses et autres grandes entreprises pareilles. « Me proposait-on un plan de trente millions, qui me convînt ? Accordé, disais-je ; mais à faire en vingt ans, c’est-à-dire à quinze cent mille francs par an. Cela allait très bien jusque-là ; mais que me donnerez-vous, ajoutais-je, pour ma première année ? car si je veux que ma dépense soit morcelée, je veux néanmoins que le résultat, le travail m’arrive entier et fini. Ainsi je veux d’abord un abri, une chambre, un appartement, n’importe quoi, mais quelque chose de complet pour mes quinze cent mille francs. Les architectes ne voulaient plus y entendre ; cela gênait leur grandiose, leur grand effet. Ils auraient voulu d’abord produire toute une façade longtemps inutile, et vous engrener ainsi dans des dépenses immenses, qui, si elles étaient interrompues, ne vous laissaient rien.

C’est avec cette manière à moi, et en dépit de tant de circonstances politiques et militaires, que j’ai fait néanmoins tant de choses. J’avais réuni quarante millions de meubles à la couronne, quatre millions au moins d’argenterie. Que de palais j’ai restaurés ! Peut-être trop : j’y reviens. Grâce à ma manière de faire, j’ai pu habiter Fontainebleau dès la première année de travail ; il ne m’en coûta pas plus de cinq à six cent mille francs. Si j’y ai dépensé depuis six millions, cela n’a été qu’en six ans ; j’en aurais dépensé bien davantage avec le temps ! Mon but principal avait pour objet que la dépense fût insensible, et le résultat éternel.

À mes voyages de Fontainebleau, disait l’Empereur, douze à quinze cents personnes étaient invitées, logées et meublées, plus de trois mille pouvaient y trouver à dîner, et ceci n’avait rien de coûteux pour le souverain, ou très peu, grâce à l’ordre établi ; Duroc l’avait rendu ad-

    malveillance et des libelles) l’histoire de cette misérable cahute enclavée dans l’enceinte du palais du roi de Rome, dont le propriétaire demanda successivement dix, vingt, cinquante, cent fois la valeur réelle. Arrivé à ce taux ridicule, l’Empereur, de qui on prenait les ordres à cet égard, ordonna tout à coup de se refuser désormais à tout marché quelconque, s’écriant que cette misérable échoppe, au milieu de toutes les magnificences du palais du roi de Rome, serait après tout la vigne de Naboth, le plus grand témoignage de sa justice, le plus beau trophée de son règne.