Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/512

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conduire Napoléon et sa suite en Angleterre, si cela lui était agréable. Je lui répondis que j’allais transmettre cette offre, et que je ne doutais pas que l’Empereur n’en profitât avec magnanimité et sans défiance, pour aller demander en Angleterre même les moyens de se rendre en Amérique. Le capitaine me fit l’observation qu’il ne garantissait pas qu’on nous les accordât ; mais il m’assura, et plusieurs officiers le secondèrent, que nous ne devions avoir nul doute d’y recevoir le traitement digne de l’élévation, de la grandeur, de la générosité de leur nation.

« À mon retour, l’Empereur nous réunit autour de lui, pour connaître notre pensée. L’opinion fut unanime pour accepter l’hospitalité qui nous était offerte ; il ne s’éleva pas la moindre inquiétude. « C’est une occasion de gloire, disait-on, qui sera avidement saisie par le Prince-Régent. Quel plus beau triomphe pour l’Angleterre que cette noble confiance de son grand ennemi, que cette préférence obtenue sur un beau-père et un ancien ami ! Ce sera, disait-on, une des belles pages de son histoire ! Quel hommage rendu à l’excellence, à la supériorité de ses lois ! » Ici, Monseigneur, j’osai m’appuyer de la haute opinion de Votre Altesse même, sur le caractère national du peuple anglais, sur sa moralité, sa noblesse et son influence sur les actes de la souveraineté même. L’Empereur pensait bien que sa retraite en Amérique serait vue avec jalousie, sans doute, et que cet article éprouverait quelques difficultés ; mais, comme il ne choisissait cet asile que pour vivre sous des lois positives, et que l’Angleterre lui offrait les mêmes avantages, il lui importait peu d’être contraint d’y demeurer. Il s’y détermina même, et écrivit au Prince-Régent une lettre remarquable, qu’ont répétée tous les papiers de l’Europe[1].

« Je retournai le soir même coucher à bord du Bellérophon, annonçant l’arrivée de l’Empereur pour le lendemain matin. J’étais accompagné du général Gourgaud, aide de camp de Sa Majesté, qui fut expédié sur-le-champ pour l’Angleterre. Il était porteur de la lettre pour le Prince-Régent, et devait faire connaître à S.A.R. le désir de l’Empereur de débarquer dans ses États sous le titre de colonel Duroc, et de se fixer, avec son agrément, dans une des provinces les plus favorables à sa santé.

À peine l’Empereur était arrivé à bord du Bellérophon, que l’amiral de la croisière parut, et vint mouiller auprès de nous. Sa Majesté témoigna le désir de visiter son vaisseau, le Superbe, et l’amiral Hotham

  1. Voyez cette lettre au tome 1er.