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conditions mentionnées ci-dessus, les papiers, partagés en deux paquets distincts, ont été déposés dans deux boîtes scellées du sceau du gouvernement de l’île. 31 décembre 1816.

«  Signé, Hudson Lowe. »

Tout fini entre nous, sir Hudson Lowe, par une tournure qui lui était caractéristique vis-à-vis de moi depuis que je me trouvais entre ses mains, passa tout aussitôt, soit bonté, soit calcul, à écrire pour moi quelques lettres de recommandation privée à de ses connaissances du Cap, qui, m’assurait-il, me seraient fort agréables, et que je n’eus pas le courage de rejeter, tant elles semblaient être offertes de bon cœur. Enfin vint le moment de cet éternel départ ; sir Hudson Lowe descendit avec moi, m’accompagnant jusqu’à la porte de sortie, et là, ordonna à tous ses officiers de me suivre jusqu’au lieu de l’embarquement, pour me faire honneur, disait-il. Je me jetai avec empressement dans le canot préparé pour me recevoir ; je traversai la rade, passant assez près d’un bâtiment qui venait d’arriver du Cap, d’où je reçus, par gestes, les salutations du Polonais et des trois domestiques qu’on nous avait enlevés quelques mois auparavant. Ils repassaient pour regagner l’Europe. Je fus saisi à leur vue : l’un d’eux était porteur de la seule pièce qui eût échappé de l’île, la belle lettre au sujet des commissaires des alliés. Je ne doutais pas que la découverte faite sur mon domestique ne servît au gouverneur pour faire faire des recherches sur ces personnes qui étaient loin de s’y attendre ; heureusement il n’en fut rien, et le brave et fidèle Sentini eut le mérite d’être le premier à faire paraître en Europe quelque chose d’authentique sur Longwood.

Enfin je mis le pied sur le brick ; il leva l’ancre, et je crus le plus utile de mes vœux accompli. Vaines illusions que le temps devait détruire si cruellement, et qu’une dernière épreuve du cœur des hommes en pouvoir devait m’apprendre n’avoir été que d’absurdes chimères !… Et comment ai-je pu en effet m’abuser au point de croire à la sensibilité de ceux-là mêmes qui, contre tout droit, avaient prononcé la sentence et ordonné le supplice… Ah ! que n’ai-je choisi de demeurer ! que n’ai-je continué des soins domestiques, au lieu d’aller rêver des services lointains ! J’aurais prolongé quelque temps encore mes attentions de chaque jour… j’aurais recueilli quelques marques d’intérêt de plus… et, le moment fatal arrivé, j’aurais eu ma part de la douleur commune, ma part des soins de tous ; j’aurais concouru à adoucir les derniers moments ; moi aussi j’aurais aidé à fermer les yeux !… Mais plutôt