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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/554

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une meilleure preuve qu’en vous demandant à vous-même votre opinion relativement à vos fonctions.

« Si je tombais gravement malade, vous me feriez connaître votre « opinion, et je jugerais moi-même la nécessité où nous serions de demander des conseils à d’autres médecins. J’étais fort triste ces jours derniers ; mon esprit souffrait des mauvais traitements que je supporte, ce qui m’a empêché de sortir, ne voulant ennuyer personne. « J’ai su depuis, par Bertrand, qu’il songeait à envoyer chaque jour, dans ma chambre, un officier chargé de voir si je ne pouvais sortir. Le premier agent qui oserait entrer de force dans cet appartement, « je le tuerais, j’y suis bien décidé ; je serais tué aussitôt, mais qu’importe ? J’ai vu des Prussiens, des Tartares, des Cosaques, jamais je n’ai vu un homme aussi horrible, aussi repoussant ; il a le crime gravé sur le visage. J’ai pu me plaindre quelquefois des manières de l’amiral, de certaines brusqueries peu convenables ; mais il ne ressemble pas à ce vil Prussien[1]. »

J’ai eu un nouvel entretien avec Napoléon ; après diverses explications sur la conduite que je me proposais de tenir vis-à-vis de lui. Je lui ai dit : « J’espère remplir mes devoirs à votre complète satisfaction. » Quelques instants après il me répondit : « Quel exercice peut-on prendre dans cette île horrible, où l’on ne peut faire un mille à cheval sans être trempé ; dans cette île dont les Anglais, accoutumés à l’humidité, ne peuvent supporter la température ? Comment ne pas être révolté d’apprendre que ce geôlier a envoyé son aide de camp et son secrétaire, dans toutes les boutiques, défendre aux marchands d’ouvrir un crédit aux Français qui m’ont suivi ? »

L’Empereur continua avec vivacité en parlant du gouverneur : « Ce sbire viendrait m’annoncer qu’un vaisseau est arrivé pour me ramener en Angleterre, que la nouvelle, donnée par lui, me paraîtrait gâtée. Mes dispositions à son égard sont telles que je ne puis plus l’écouter. Hier, il est venu ici suivi de son état-major, dans une pompe toute sinistre, comme il viendrait pour me faire fusiller. Que ne me demandait-il un entretien particulier ?, Il est parti exaspéré. Je préfère rester sans relations, puisque toutes ces explications sont inutiles. Je ne veux pas l’insulter, et lui répéter ce que j’ai été obligé de lui dire. «  Je suis allé chez sir Hudson Lowe, à qui j’ai fait part du sujet de ma visite, en retranchant, bien entendu, les choses très-dures dont Na-

  1. C’était un mot de mépris.