Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/557

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« Qu’est-ce donc que ces restrictions qu’il annonce et ne fait pas connaître ? Où habite l’homme d’honneur qui peut lui confier un blanc seing, car avec sa signature il le fera signer tôt ou tard quelque acte affreux. Le misérable ! il menace Las Cases parce qu’il aurait écrit à ses amis d’Angleterre qu’il était mal logé et mal traité ; il faut souffrir et se taire. Aviez-vous l’idée de cette tyrannie ? Si je suis son ennemi, qu’il frappe, mais à découvert. Je crois que lord Liverpool, et même lord Castlereagh désavoueraient ces traitements ; mais ils ne les connaissent point. Le gouverneur écrit seul à Bathurst, et lui dit ce qu’il veut pour flatter sa haine contre moi. »

Piontowski et trois domestiques seront renvoyés ; la mesure est prise.

Sir Hudson Lowe est venu à Longwood, suivi du colonel Wingard. Ces messieurs ont paru affairés. Le gouverneur paraissait craindre que la copie d’une lettre que le général Montholon lui avait adressée ne fût déjà répandue dans l’île. Il m’en parla, et je lui dis que sa supposition était probable, puisqu’il n’avait point été fait un mystère de l’objet de ces observations. La crainte de les voir passer en Angleterre l’agitait extrêmement.

Le gouverneur me dit alors que Napoléon cherchait à l’avilir ; qu’il attaquait sans cesse les ministres pour affaiblir leur influence, et qu’ensuite il chercherait à se sauver de Sainte-Hélène. Il me parla de ce qu’il appelait mes devoirs d’Anglais au sujet de mes rapports entre Napoléon et lui.

Je lui répondis que les devoirs de l’honneur ne m’obligeraient de lui parler que dans le cas où je verrais l’intérêt britannique compromis par des intrigues, ou Napoléon préparant son évasion. Quant à des lettres écrites à Londres par Napoléon et ses amis, le tort qu’il voyait était exagéré, puisque des personnages faisant partie du ministère avaient demandé des lettres et les avaient reçues. Je lui dis que plusieurs me suppliaient de leur continuer l’envoi de quelques particularités de la vie de Bonaparte à Sainte-Hélène. Cette réponse le troubla ; il ignorait cette circonstance. Je lui offris de nouveau ma démission, mais il fut encore plus ému de cette offre que de ma confidence. « Votre éloignement, me dit-il, n’est pas nécessaire. Cependant je veux mieux régler le fond de nos rapports. »

Le lendemain j’ai voulu persuader à Napoléon qu’il avait quelquefois jugé trop sévèrement Lowe ; que dans quelques circonstances ses intentions avaient pu être polies, et plus bienveillantes, qu’elles n’avaient