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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/587

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pas le véritable motif, mais la crainte que je ne voulusse expliquer beaucoup de faits ignorés de la longue lutte entre les deux nations ; ignorés chez vous, je les eusse dévoilés complétement, car toute leur influence n’eût pu faire que beaucoup de personnages distingués ne se fussent liés avec moi. Je suis privé des journaux que je lisais avec intérêt. Je ne reçois que des feuilles comme la Quotidienne et la Gazette de France. »

Les fossés qui entourent le jardin de Longwood sont achevés, et les factionnaires sont augmentés et redoublent de vigilance.

Napoléon m’a demandé quelques renseignements sur une querelle entre madame Sturmer et l’envoyé de Louis XVIII, le marquis de Montchenu. Je lui en ai dit la cause. Le marquis affirme que cette dame ne sait pas entrer dans un salon. Il a beaucoup ri et puis levé les épaules. « Voilà les émigrés ! Tout ce bruit contre madame Sturmer vient de ce que son père était plébéien. »

Après s’être promené un moment avec trouble, Hudson Lowe m’a demandé si madame Bertrand avait parlé à des habitants et des officiers de sa conversation avec Bonaparte. « Je l’ignore, » fut ma réponse. « Je désire pour elle qu’elle se taise à ce sujet. Ses indiscrétions ne feraient que gâter davantage sa position et celle de son mari. » Il répéta avec colère quelques-unes des expressions de Napoléon, et dit : « Le général Bonaparte vous a-t-il appris aussi que je lui avais dit que je ne l’écouterais pas, parce que je trouvais ses observations grossières et injustes ? — Non. — Il est mon prisonnier, qu’il y songe ! et s’il continue ses injures, je saurai le réduire. » Il se promena avec une nouvelle agitation, en disant : « Les observations de Bonaparte sont ignobles. » Il était furieux. « Dites au général Bonaparte que si son langage ne change pas, je serai forcé de restreindre sa liberté » Après l’avoir accusé d’avoir fait périr des millions d’hommes, et de désirer recommencer s’il était libre, il termina en disant qu’il lui préférait Ali-Pacha.

« La plus grande faute du gouvernement serait de ramener la noblesse dans les honneurs de l’armée. Notre époque est celle du mérite ; il faut laisser les fils des paysans monter par des talents et des services au premier rang. Le gouvernement perdrait la vieille noblesse, s’il lui laissait envahir ou seulement empiéter sur les droits sacrés du mérite. La noblesse, avant la révolution, se composait en grande partie d’hommes ignorants, frivoles, arrogants, corrompus. Je n’en connais pas bien la composition présente, pour être à