Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de génie. « L’Empereur, me disait-il, y est toujours en action ; il tient constamment les fils qui non seulement vont déterminer la victoire sur le terrain où il opère, mais réagiront encore sur l’universalité de l’Europe. » Il a voulu me le prouver, et cette circonstance m’a valu son secret. D’un rang élevé dans la garde, ce digne officier[1], à la teinte antique par son amour de la patrie, sa fièvre du bien, sa brusque franchise, sa rigide droiture, à l’écart aujourd’hui par la nature de ses opinions et de ses sentiments, s’occupe dans sa retraite avec autant de talent que de modestie d’une entreprise vraiment nationale : le Tableau des Campagnes de Napoléon.

Sa campagne de 1809 étant entièrement finie, sauf rédaction, il a bien voulu me la confier ; il a fait plus, il m’a fait l’insigne faveur de la mettre à mon entière et libre disposition. Mon embarras dès lors n’a plus été que dans le choix ; car, gouverné par l’espace et dans l’obligation d’abréger, j’ai dû mutiler sans cesse, c’est-à-dire gâter. Quoi qu’il en soit, en voici l’extrait :

« Napoléon, au milieu de son expédition d’Espagne, est contraint de quitter inopinément ce pays, et reparaît tout à coup aux Tuileries le 23 janvier 1809. Il devenait urgent pour lui d’accourir à la défense de l’empire menacé du péril le plus imminent.

Quelque rapide qu’eût été l’incursion de l’Empereur dans la Péninsule, ce court intervalle avait suffi aux intrigues du ministère anglais et à la malveillance des cabinets du continent pour accomplir une nouvelle coalition.

La Prusse avait armé furtivement, et s’engageait à se déclarer dans l’occasion ; l’enthousiasme d’Alexandre pour Napoléon s’était éteint. Un voyage du roi et de la reine de Prusse à Pétersbourg avait opéré ce changement : la Russie épiait le moment favorable, se concertant déjà en secret avec la Prusse, et liant des intelligences mystérieuses avec Vienne. Quant à l’Autriche, elle n’avait d’autre sentiment que de dévorer ses peines en multipliant les protestations d’amitié, d’autre occupation

  1. Cet ami, dont je n’ai pas cru pouvoir inscrire le nom dans la première publication de cet ouvrage, par la crainte, grâce au régime sous lequel nous vivions, de compromettre son repos, est le général baron Pelet, de la garde impériale ; depuis la révolution de 1830 directeur du dépôt de la guerre, trois fois député de Toulouse, sa ville natale, et enfin, pair de France. Son amour pour l’Empereur, le culte religieux qu’il porte à sa mémoire l’ont occupé sans cesse, au poste qu’il dirige, à rassembler et à coordonner toutes les lettres de Napoléon, ses ordres de guerre et autres documents de la sorte ; il en a fait rentrer un grand nombre qu’on s’était approprié par curiosité, et a signalé ceux qu’on avait fait disparaître dans des intérêts personnels ; enfin il les a fait retranscrire en plusieurs exemplaires, de manière à ce que ces précieux objets ne pussent jamais être perdus. Ce sera un trésor national que nous devrons à ses soins, et dont l’histoire et tous les cœurs français demeureront à jamais reconnaissants. La Biographie des Contemporains fait connaître ses nombreux faits militaires.