Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/675

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qu’elle avait besoin d’argent pour marier sa fille au duc de Broglie ; elle promettait, ce service une fois rendu, d’être pour moi noire et blanche. Fouché me conseilla d’accueillir cette réclamation, attendu que cette dame pouvait rendre de très-grands services dans ce moment si critique. Je ne voulus pas du marché.

« Vous savez cette autre anecdote : A mon retour de la première campagne d’Italie, je fus abordé par madame de Staël ; c’était dans une grande société : je ne pus éviter un échange de quelques paroles polies. Madame de Staël me demanda : « Général, quel est selon vous, aujourd’hui, la première femme de France ? — Madame, lui repartis-je froidement, c’est celle qui a le plus d’enfants. » Elle fut toute déconcertée. »

27. — L’Empereur considère l’Angleterre comme en décadence. Il en trouve une preuve dans la prohibition de ses marchandises en Russie et en Allemagne. « Pour reprendre la puissance qu’elle posséda au temps du grand lord Chatam, il faut qu’elle rentre dans son rôle naturel de première puissance maritime. Avec vos flottes, vous pouvez menacer d’une attaque les côtes des puissances qui vous refuseront leur bienveillance ; vous pouvez troubler leur commerce, sans craindre de représailles : votre manière actuelle d’agir vous fait perdre tous ces avantages. Vous avez abandonné votre arme la plus puissante, et vous envoyez une armée sur le continent, où vous êtes inférieurs en forces même à la Bavière. Vous me rappelez François Ier, qui, à la bataille de Pavie, avait une artillerie belle et formidable ; il mit sa cavalerie devant et masqua ses batteries, qui, si elles eussent fait feu, lui assuraient la victoire : il fut battu, perdit tout et fut fait prisonnier. Vous faites de même : vous désertez vos bâtiments, que l’on peut comparer aux batteries de François Ier, et vous jetez sur le continent quarante mille hommes que la Prusse, ou telle puissance qui voudra prohiber vos marchandises, attaquera et taillera en pièces, si vous usez de représailles.

« Comment ! vos ministres ont tout rendu ! Les autres puissances ont acquis du terrain et des millions d’âmes, et vous, vous avez rendu les colonies ! Vous rendez l’île Bourbon à la France ; vous ne pouviez rien faire de plus imprudent ; au contraire, vous deviez tâcher de faire oublier aux Français la route de l’Inde ; mais non, vous les replacez à demi-chemin. Pourquoi avez-vous rendu Java ? Pourquoi avez-vous rendu Surinam, la Martinique et quelques autres colonies ? N’étiez-vous pas les maîtres ? ne pouviez-vous pas dire que vous les reteniez