Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/807

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nos lois, puis les réunir, les constituer, les rendre à l’ancienne gloire italienne. Je me proposais de faire de ces États agglomérés une puissance compacte, indépendante, sur laquelle mon second fils eût régné. Rome en fût devenue la capitale ; je l’eusse restaurée, embellie ; j’eusse déplacé Murat. De la mer jusqu’aux Alpes, ou n’eût connu qu’une seule domination. J’avais déjà commencé l’exécution de ce plan, que j’avais conçu dans l’intérêt de la patrie italienne. On travaillait à dégager Rome de ses décombres : on desséchait les Marais Pontins ; mais la guerre, les circonstances où je me trouvais, les sacrifices que j’étais obligé de demander aux peuples, ne me permirent pas de faire ce que je voulais pour elle. Voilà, mon cher docteur, les motifs qui m’ont arrêté. C’est une faute, une grande faute ; je le sentis en 1814 ; mais l’heure des revers avait sonné, le mal était irréparable. Si je n’avais pas été pris par le temps, que j’eusse exécuté ce que je projetais, je ne serais pas tombé, je n’aurais pas été exilé à l’île d’Elbe, et encore moins jeté sur cet écueil. Ah ! docteur, quels souvenirs ! quelles époques me rappellent cette belle Italie ! Je touche encore au moment où je pris le commandement de l’armée qui la conquit. J’étais jeune ; j’avais la conscience de mes forces ; je bouillais d’entrer en lice. J’avais donné des gages, on ne contestait pas mon aptitude ; mais mon âge déplaisait à ces vieilles moustaches qui avaient blanchi dans les combats. Je m’en aperçus, et sentis la nécessité de racheter ce désavantage par une austérité de principes que je ne démentis jamais. Il me fallait des actions d’éclat pour me concilier l’affection et la confiance du soldat ; je les fis. Nous marchâmes ; tout s’éclipsa à notre approche. Mon nom était aussi cher aux peuples qu’aux soldats : ce concert d’hommages me toucha ; je devins insensible à tout ce qui n’était pas la gloire. L’air retentissait d’acclamations sur mon passage ; tout était à ma disposition, tout était à mes pieds ; mais je ne voyais que mes braves, la France et la postérité ! Les belles Italiennes eurent beau déployer leur grâce ; je fus insensible à leurs séductions : elles s’en dédommageaient avec ma suite. Une d’elles, la comtesse C…., laissa à Louis, lors que nous passâmes à Brescia, un gage de ses faveurs dont il se rappellera longtemps. »

27. — La nuit a été excessivement mauvaise. L’Empereur est dans un état de faiblesse extrême, physionomie sombre. Je hasarde une prescription, Napoléon s’impatiente, et témoigne la plus vive aversion pour toute espèce de remèdes.

Il dîne à six heures, mais il rend presque aussitôt ce qu’il a pris.