Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/88

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moment où les eaux étaient les plus élevées, devant une armée encore formidable, et au milieu du pays ennemi, etc., etc.

« Cependant le bruit de l’entrée des Français à Vienne vint confirmer dans les cours et chez les peuples d’Allemagne la sensation produite par la nouvelle des victoires d’Eckmülh. Les projets d’insurrection et d’armement furent suspendus, les trahisons politiques ajournées, les associations particulières refroidies et comprimées. Schill, parvenu à réunir un corps de six mille hommes, en compromettant les noms des rois de Prusse et d’Angleterre, ne trouvait plus de pays qui osât se déclarer pour lui, etc.

« Le cabinet de Londres même se ressentit de l’influence de ces triomphes. Les intrigues et les indécisions de son ministère n’en furent pas peu augmentées, et ses grandes diversions promises, de plus en plus retardées.

« La cour de Prusse multiplia les démonstrations de fidélité aux traités, et feignit de poursuivre les partisans de Schill. Celle de Russie, notre alliée en apparence, se décida enfin à nous fournir son contingent ; elle mit en mouvement, sur la Gallicie, un corps de quinze mille hommes, beaucoup moindre que ne le portaient ses engagements, et encore pense-t-on généralement que les Russes ne s’avancèrent que pour contrarier les progrès très rapides des Polonais, et surtout leurs principes.

« Le passage d’un fleuve comme le Danube est une opération fort difficile. Il ne suffit pas d’avoir un pont et de passer à l’autre rive, il faut déboucher au-delà, se maintenir et conserver le pont. Quand on considère l’effrayante immensité des objets nécessaires pour une telle construction et leur fragilité, ainsi que la terrible violence des obstacles qu’il faut vaincre, on a peine à concevoir que de telles opérations réussissent jamais. Ici il fallait traverser d’abord un premier bras du Danube, large de deux cent trente toises, un second bras de cent quarante toises, où se trouvait le grand courant, séparé du premier par une île large de cent toises ; après cela on n’était encore arrivé que dans la grande île de Lobau, plantée d’arbustes et coupée de petits canaux. Il fallait enfin traverser, pour atteindre la rive gauche, un troisième bras, dont la largeur variait de cinquante à soixante-dix toises. Le Danube, en cet endroit, est divisé en tant de bras, parsemé de tant d’îles, que c’est un véritable labyrinthe, à l’abri duquel l’ennemi pouvait approcher beaucoup de nos travaux. Ainsi c’était une triple rivière à passer, un triple pont à construire, dont un était de la plus grande dimension, au milieu des ennemis, qui de tous côtés nous voyaient et nous entouraient. Dans la construction de ces ponts, il fallait se servir