Page:Lassalle - Capital et travail.djvu/49

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cun à ses propres forces, abandon que vous prenez à la lettre.

Mais le devoir du souci de soi-même et l’abandon absolu de chacun à ses propres forces que vous égalisez si naïvement sont deux choses diamétralement opposées, monsieur Schulze !

Si chacun doit être abandonné à soi-même et à ses propres forces, si votre devise et celle de vos collègues : chacun pour soi et Dieu pour tous, devait être la devise de la société humaine, à quoi bon alors la société humaine ? et d’où découlerait son droit d’existence ? Pourquoi alors les hommes ne vivent-ils pas comme les animaux dans le désert, chacun poursuivant tout seul sa propre proie et différant seulement de l’animal en ce que chacun est empêché par la grille du code pénal de faire une invasion dans la sphère d’autrui ? Ce serait évidemment votre idéal de société humaine ! Mais alors on ne pourrait pas même conserver cette grille du code pénal. Car le code pénal lui-même n’émane finalement que de la communauté de l’esprit national et nullement de votre abandon de chacun à soi-même, qui, s’il était adopté comme règle principale de morale, rendrait impossible toute idée de code pénal ou même d’un code quelconque. Toute loi émane, dis-je, de la solidarité de cet esprit national s’étendant à tous, de la dépendance de chacun à tous, à l’unité, à la communauté avec tous[1].

La moralité elle-même ne provient que de cette unité et communauté de tous. Sans elles, le moral

  1. Si vous ne le comprenez pas, monsieur Schulze, comme c’est plus que probable, voyez : Savigny, Système des Rom., R., t. VIII. p. 533-536, et mon System der Erw. Rechte (système des droits acquis), t. I, p. 194 ff.