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LA MORALE DE NIETZSCHE

thème fondamental de l’art, son centre et sa mesure, voilà l’art comme chose de civilisation. L’art est l’épanouissement de la morale, de la morale des maîtres, la fleur qu’elle arrive enfin à produire. Une certaine qualité d’art comme elle est une certaine qualité de morale, au grand sens du mot : un style. Là où un style règne n’éprouve-t-on pas jusqu’à l’évidence que les maîtres ont passé »


Toute morale, dit Nietzsche, est, par opposition au laisser-aller, une sorte de tyrannie contre la « nature », aussi contre la « raison » : ce n’est cependant pas encore une objection contre elle, si ce n’est que l’on veuille décréter soi-même, de par une autre morale quelconque, que toute espèce de tyrannie et de déraison sont interdites. L’essentiel et l’inappréciable, dans toute morale, c’est qu’elle est une longue contrainte ; pour comprendre le stoïcisme, ou Port-Royal, ou le puritanisme, il faut se souvenir de la contrainte qu’il fallut imposer à toute langue, pour la faire parvenir à la force et à la liberté, contrainte métrique, tyrannie de la rime et du rythme. Quelle peine les poètes et les orateurs de chaque peuple se sont-ils donnée, — sans excepter certains prosateurs de nos jours, qui ont dans l’oreille une inflexible conscience, — « pour une absurdité », comme disent les maladroits utilitaires qui se croient avisés, — « par soumission à des lois arbitraires », comme disent les anarchistes, qui se prétendent ainsi