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APPENDICE

rité, deux choses parfois assez proches d’ailleurs. Née à l’aurore de la plus belle et longtemps la seule civilisation moderne (le signe le plus certain d’un beau moment de civilisation, n’est-il pas une certaine parenté profonde, je ne sais quel grand air commun entre les plus hautes et les plus originales intelligences ?), la littérature française est toute vouée à une œuvre de luxe et de loisir : la peinture, la philosophie des passions. C’est en ce sens que « l’art pour l’art » est sa maxime fondamentale. Mais les passions n’étant belles que par les mœurs, disons que cette littérature a des mœurs. Elle n’est pas utilitaire, ce qui signifie ni religieuse, ni moralisatrice, ni patriotique. Elle est assez dédaigneuse du « sujet » ; le prestige de la grosse aventure, plus encore celui des arrière-pensées métaphysiques ou cosmiques lui sont inutiles. Pour captiver et plaire, elle a de plus fins moyens : la particularité discrète de la vision, le dire sobre, ingénieux et neuf. Enfin, elle est la seule littérature moderne qui eût pu être comprise par des hommes de tous les temps.

Quand on lit Montaigne, la Rochefoucauld, La Bruyère, Fontenelle (particulièrement dans les Dialogues des morts), Vauvenargues, Chamfort, on est plus près de l’antiquité qu’avec n’importe quel groupe de six auteurs d’un autre peuple… Leurs livres s’élèvent par-dessus les vicissitudes du goût national et de ces couleurs philosophiques dont scintille et doit scintiller, pour devenir célèbre, tout