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PIERRE LASSERRE

livre d’aujourd’hui ; ils contiennent plus de pensées réelles que tous les livres des philosophes allemands ensemble, des pensées de cette espèce… qui fait que ce sont des pensées, et que je suis embarrassé pour définir ; il suffit, je vois en eux des auteurs qui n’ont pas écrit pour des enfants ni pour des enthousiastes, ni pour des vierges ni pour des chrétiens, ni pour des Allemands ni pour… me voilà encore embarrassé pour finir ma liste. Mais voici une louange bien intelligible : écrits en grec, ils auraient aussi été compris par des Grecs. Combien, au contraire, un Platon lui-même aurait-il pu comprendre des écrits de nos meilleurs penseurs allemands, par exemple de Gœthe et de Schopenhauer ! pour ne rien dire de la répugnance que lui eût inspirée leur façon d’écrire… Gœthe, comme penseur, a plus volontiers étreint le nuage qu’on ne le souhaiterait. Et quant à Schopenhauer, ce n’est pas impunément que son esprit se meut parmi des allégories des choses, non parmi les choses elles-mêmes. Quelle clarté, quelle charmante décision, au contraire, chez ces Français ! Voilà un art que les plus fins d’oreille parmi les Grecs eussent pu fêter. Et il est une chose qu’ils eussent vue avec étonnement et adorée, la malice française de l’expression. (Menschliches, Allzumenschliches, Band II, p. 310.)


Je n’ai pas besoin de prévenir le lecteur que, parmi tous nos écrivains du xixe siècle, un très petit nombre continuent la tradition de l’art français, sont français au goût de Nietzsche. La Révolution et le Romantisme n’ont pas renversé, comme on le prétend, mais corrompu la sensibilité