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APPENDICE

reçoit une lettre où l’auteur de Zarathustra lui révèle qu’il est le Christ et qu’il a été le monde. La même communication avait été faite en même temps à George Brandès, le célèbre critique danois, et aux plus notoires amis que Nietzsche croyait compter en Europe. Nietzsche était devenu fou. Il y a quelque temps, on a pu lire au rez-de-chaussée d’un grand journal le lamentable document, suivi à peu près de ce commentaire : « Voilà le personnage dont on fait à présent tant de bruit. » Enfin les propos de Zarathustra devenaient intelligibles : ils sont d’un paralytique général !

L’idée qu’on s’est faite de Nietzsche pendant les dix ou douze années qui séparent la première apparition de son nom dans nos journaux des premiers propos sérieux publiés sur son compte, fut généralement celle de l’anarchiste et du nihiliste le plus forcené. C’est fort curieux. Non seulement Nietzsche n’est pas du tout ce personnage. Mais il en est l’extrême, le violent antipode. D’une aussi étrange méprise je vois plusieurs causes. La principale, c’est la haine de Nietzsche contre le christianisme. Pour beaucoup de personnes sans instruction (et notamment pour les anarchistes), christianisme, gouvernement, ordre public, code pénal, code militaire, gendarmerie, tout cela ne fait qu’un. Qui ruine l’un ébranle l’autre. Une revue « libertaire », que je crois être — sans pouvoir l’affirmer — l’Humanité nouvelle, paraissant alors sous un autre nom, donna la traduction de l’Antéchrist. Elle prenait l’auteur pour un des siens.