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PIERRE LASSERRE

s’émouvoir pour d’autres intérêts que d’individuels sont les signes de l’homme vil. Les mauvaises doctrines sont toutes celles qu’inspirent l’orgueil, l’excès de sensibilité personnelle, une secrète rancune contre les puissances régnantes et l’œuvre de civilisation qu’elles ont créée ou qui leur a été transmise à conserver.

En face, ou plutôt au-dessous de cette morale de la puissance, l’histoire en effet en a toujours vu se former une autre : la morale de l’impuissance et de la défaite. Elle renverse l’ordre des valeurs établi par la première, glorifie ce que celle-ci avilissait et réciproquement. Quand un peuple est subjugué et hors d’état de prendre sa revanche, il s’avise d’un détour ; il flétrit le vainqueur qu’il ne peut écraser et travaille à accréditer dans le monde le mépris de la victoire. S’il y réussit, il deviendra plus grand que ses maîtres. Il s’agit de faire passer les humiliations visibles pour la marque d’une supériorité… invisible, « spirituelle, » d’une élection mystique. Dieu, insinuera-t-on, laisse frapper ses enfants pour les distinguer des enfants de la terre et montrer que leur grandeur n’est pas de ce monde. Plus ils seront humbles, résignés, doux, mieux cette leçon se fera comprendre au vainqueur, le troublera, lui donnera la mauvaise conscience. Les Juifs ne purent se prémunir contre les dangers dont leur