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LA MORALE DE NIETZSCHE

nous au premier venu qui le demande, c’est là le chemin du nirvana, de l’ata-raxie, béatitude pour malades… mais cette restriction est-elle à faire ? L’idée de la béatitude, de l’extase, du sommeil comme terme suprême, n’est-ce pas le symptôme d’incurables tourments, de quelque incompatibilité de l’âme avec la vie ?

Cet ascétisme épicurien, qui semble incliner l’homme tout entier vers la mort, c’est lui-même une invention de la volonté de puissance. À des natures brisées il donne au moins l’organisation chétive que seules elles comportent.

Malheureusement, il est rare que la volonté de puissance procède avec cette convenance qui prouve beaucoup de distinction. Les mal nés ne se résignent pas à l’effacement. Pour en sortir et donner du prix à leurs activités inquiètes et déréglées, pour auréoler leurs aspirations souffrantes, ils bouleversent les idées naturelles.

Nous les suivrons tout à l’heure dans les méandres de ce travail. Marquons-en dès ici le schéma. La condition humaine et l’être humain renferment, on l’a dit, soit originairement, soit à partir d’un certain point de l’évolution de l’espèce, des antinomies. Incapable que l’on est d’en triompher par une énergie ordonnée, de les résoudre en harmonie, de créer le concert des puissances hostiles qui composent la vie, il s’agit, tout