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PIERRE LASSERRE

les faire souffrir et leur ôter l’aisance d’esprit, à des tares natives.

Dans ces positions misérables, deux moyens s’offrent à l’homme pour pallier le mal de la vie. Ou bien s’avouer sa débilité, se traiter en malade qui redoute le soleil et les vents et ne peut traîner en paix ce lambeau d’existence que dans une chambre close. — Ou bien imaginer des principes religieux ou métaphysiques qui lui permettent de voir sa souffrance sous un jour » consolant, glorieux pour lui, humiliant surtout pour ceux qui n’y ont point part.

De ces deux partis, le premier se recommande au moins par la probité et le bon goût. D’après Nietzsche, deux sectes surtout en ont compris l’excellence et élaboré la méthode : les Bouddhistes et les Épicuriens. Supprimer toutes les prises de la vie sur nous, non par une rupture révoltée et violente qui nous laisserait tout haletants, mais par un mouvement de savante et douce retraite, se désintéresser de la cité et de la postérité, de tout ce qui agite, de tout ce qui nous divise contre nous-même, et, au premier chef, de notre personne ; ne se permettre que des curiosités sans angoisse et, en fait de passions, la plus pacifique seulement, l’amitié entre hommes mûrs ; enfin, pousser l’indifférentisme jusqu’à un sentiment de fraternité universelle, jusqu’à tout accorder de