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PIERRE LASSERRE

et qu’elles jaillissent de l’égoïsme même. Alors que ceux qui commandent au peuple ne se seraient proposé d’autre fin que la possession du pouvoir, ils ne le conserveront jamais qu’en instituant un ordre général dont l’entretien leur incombera. Dévoués primitivement à eux-mêmes, ils seront contraints de se faire serviteurs de la chose publique. Qu’importe que le subordonné, sa tâche spéciale une fois accomplie, ne pense plus qu’à lui-même et à sa nichée ? Le chef, le responsable, doit faire passer avant tout la pensée de la totalité.

Nietzsche se moque des théories mystico-démocratiques qui attribuent à la foule on ne sait quel mystérieux pouvoir de création inconsciente dans l’ordre poétique et moral. Elles font partie de la défroque romantique. Bien plus, il tient toute foule pour ennemie de la morale, d’une haute morale au moins. S’il y a un inconscient en elle, le voilà. Comment concevoir une masse humaine où les faibles, les manques, les impotents, les malades ne domineraient pas ? C’est une donnée élémentaire. Les forts, les biens nés, les biens centrés sont toujours un très petit nombre. Et c’est le signe le plus avéré de la faiblesse organique et surtout intellectuelle, ou mieux, c’est la faiblesse même que l’incapacité de se gouverner, l’inaptitude à la maîtrise de soi, condition commune de