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LA MORALE DE NIETZSCHE

toute morale caractérisée. Le faible est, de par la nature, esclave, esclave d’abord de ses propres sensibilités. Anarchique, il est un propagateur né d’anarchie, de laisser-aller. Le laisser-aller, les mœurs, deux antipodes. Une morale, comme toute culture, demande, pour pousser de vigoureuses racines, un riche terrain, de profondes réserves de vitalité. Elle ne saurait donc se faire reconnaître et prendre pied sur un peuple que par le ministère d’une élite. Qui désignera cette élite comme maîtresse ? Les effets mêmes de la force et de l’intelligence ; la victoire, la conquête, les services rendus par des capacités hors de pair pour l’organisation et la protection commune. De cette supériorité d’énergie, prouvée tout d’abord par le talent de se commander à soi-même en vue de quelque chose d’ordonné et de grand, résulte pour l’élite, non seulement le devoir de commander à la masse, mais aussi celui de défendre contre elle sa propre intégrité. Si indispensable que soit pour la paix et la sécurité de la nation une aristocratie forte et sûre de soi, la fin essentielle de l’aristocratie, ce n’est pas le bien général, mais sa propre vertu. Elle a la jouissance des honneurs et seule elle fait figure. Mais la tâche supérieure qui constitue sa raison d’être lui impose les responsabilités les plus rigoureuses et les plus délicates, en même temps que les plus incompréhensibles pour l’homme