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LA MORALE DE NIETZSCHE

et liés les uns aux autres : tant qu’à la fin j’ai deviné deux types fondamentaux et une distinction fondamentale. Il y a une morale de maîtres et une morale d’esclaves ; j’ajoute de suite que, dans toute culture plus élevée et plus mêlée, apparaissent aussi des tentatives d’accommodement des deux morales, plus souvent encore la confusion des deux et un malentendu réciproque, parfois même leur étroite juxtaposition — et jusque dans le même homme, à l’intérieur d’une seule âme. Les différenciations de valeurs morales sont nées ou bien sous l’empire d’une espèce dominante qui, avec un sentiment de bien-être, a eu pleine conscience de ce qui la place au-dessus de la race dominée — ou bien parmi les dominés, les esclaves et les dépendants de toutes sortes. Dans le premier cas, quand ce sont les dominants qui déterminent le concept « bon », ce sont les états d’âmes sublimes et fiers que l’on regarde comme ce qui distingue et détermine les rangs. L’homme noble met à l’écart et repousse loin de lui les êtres en qui s’exprime le contraire de ces états sublimes et fiers : il les méprise. Qu’on remarque de suite que, dans cette première espèce de morale, l’antithèse « bon » et « mauvais » revient à celle de « noble » et de « méprisable » ; l’antithèse « bien » et « mal » a une autre origine. On méprise le lâche, le craintif, le mesquin, celui qui ne pense qu’à l’étroite utilité ; de même le méfiant, avec son regard inquiet, celui qui s’abaisse, l’homme chien qui se laisse maltraiter, le flatteur mendiant, —