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PIERRE LASSERRE

de la masse. Cette tâche c’est l’enfantement et l’entretien de belles mœurs. Bref, qui dit mœurs dit une aristocratie, dit des maîtres.

Si la multitude ne participe pas à l’enfantement des belles mœurs ou si elle n’y participe qu’indirectement, comme subordonnée de l’aristocratie, — il s’en faut qu’elle souscrive toujours à cette distribution des rôles et demeure à sa place [1]. Il ne s’agit pas ici des révoltes causées par l’oppression matérielle, l’exploitation brutale, les souffrances. Des temps viennent où, même pourvue de toute la sécurité et de tout le bien-être possibles par la vigilance et la justice des maîtres, ne désirant dans sa généralité ni plus de pain ni plus de jouissances, la plèbe s’insurge contre le privilège constitutif des aristocraties : créer la morale, déterminer le type de l’homme. Elle prétend l’accaparer, le faire descendre jusqu’à elle. Il en résulte en opposition avec la « morale des maîtres » une « morale des esclaves ». Laissons Nietzsche développer avec ampleur cet important parallèle.


Au cours d’une excursion entreprise à travers les morales délicates ou grossières qui ont régné dans le monde ou qui y régnent encore, j’ai trouvé certains traits se représentant régulièrement en même temps

  1. Voir, pour l’atténuation de ce qu’il y a de trop dur, de trop tendu dans cet aristocratisme, notre appendice II, sur la hiérarchie. Se reporter aussi à notre avertissement.